16 ans de prison... Le verdict italien dans le procès de l'amiante est tombé le lundi 13 février. Les deux anciens propriétaires de la société Eternit viennent d'être condamnés à des peines exemplaires. Le milliardaire suisse Stephan Schmidheiny, et le baron belge Jean-Louis Marie Ghislain de Cartier de Marchienne, jugés pour "catastrophe environnementale criminelle" et "omission volontaire des mesures anticatastrophe" devront aussi payer d’importants dommages et intérêts : 25 millions d'euros pour la commune de Casale Monferrato où se trouvait l'usine, 20 millions pour la région du Piémont, 15 millions aux caisses d'assurance-maladie et environ 30 000 euros aux familles de victime.
Pour qualifier cette décision de justice, un qualificatif est revenu quasiment en permanence : « his-to-ri-que ! » En fait, ce procès hors norme rassemblant plus de 6000 parties civiles, était celui d’une affaire de santé publique elle aussi hors norme. En effet, selon l'OMS, 125 millions de travailleurs sont exposés à l'amiante sur leur lieu de travail dans le monde entier et 90 000 meurent chaque année de maladies liées à l'amiante. En France, les prévisions les plus pessimistes en matière de santé publique tablent sur 100 000 morts d'ici 2025.
Les travailleurs qui ont été exposés à la fibre d’amiante risquent en fait de développer plusieurs types de maladie. La plus emblématique, le mésothémiome, n’est rien d’autre que le cancer de l’amiante. Ce cancer de la plèvre ne laisse aucun doute: l’amiante est l’unique responsable et il ne laisse aucune chance à ses victimes. Le décès intervient très souvent dans l’année qui suit le diagnostic.
Pierre Pluta, président de l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva), : « Les empoisonneurs doivent être jugés en France comme en Italie ».
Avec l’Andeva, une délégation de 160 victimes et veuves était venue à Turin de toutes les régions de France (Bourgogne, Rhône Alpes, Martigues, Dunkerque, Paris). Parmi eux, des anciens d’usines françaises d’Eternit. Le Procureur général Raffaele Guariniello avait requis vingt ans de prison. Lorsque le juge a annoncé le verdict, l’émotion était évidemment très forte.
Pierre Pluta, présent à Turin pour assister au prononcé du verdict : « ça a été un tonnerre d’applaudissement ».
Aujourd’hui, toutes les victimes de l’amiante ont les yeux tournés vers l’Italie. En France, les premières plaintes de victimes remontent à plus de 16 ans. Et l'instruction n'est toujours pas terminée. Avec l’Italie, la différence est flagrante. La justice y a bouclée l'enquête en 4 ans seulement. D'après des magistrats proches du dossier en France, les moyens mis à la disposition de la justice font toute la différence. Le juge de Turin avait des experts médicaux dédiés, des enquêteurs qui lui étaient rattachés. En France, les policiers ou les gendarmes qui travaillent sur le dossier de l'amiante dépendent du ministère de l'intérieur. Autrement dit, l’indépendance de la justice et les moyens mis à sa disposition font toute la différence.
Cependant, même s'il n'y a pas eu de grand procès pénal, certains employeurs ont quand même été condamnés pour "faute inexcusable", un système qui permet d'indemniser les victimes pour qui la maladie professionnelle a été reconnue. Bien sûr, symboliquement, c'est moins fort qu'une condamnation au pénal.
Jean-Pierre Grignet, pneumologue à Denain dans le Nord de la France : "La punition ne fait pas tout".
La déflagration que représente le jugement italien pourrait malgré tout faire bouger les lignes. Le syndicat FO-magistrats a décidé de frapper à toutes les portes. Ils ont saisi Conseil supérieur de la magistrature pour s'étonner du manque de moyens consacrés à ce dossier et ont écrit aux parlementaires pour que la volonté politique soit au rendez-vous.