Le Dr Rudy Caillet est praticien hospitalier nutritionniste aux Hôpitaux civils de Colmar. Il fait partie du réseau FORCE (F-CRIN) et participe actuellement à une étude internationale sur les expériences de stigmatisation du poids rencontrées par les femmes tout au long de leur vie, en mettant l’accent sur celles sous-représentées (en termes d’origines, de statut socio-économique, de statut migratoire, de handicap et de sexualité) et l’implication sur le bien-être. Avec ses collègues, ils analysent les liens de causalité entre tous ces facteurs dans l’idée de proposer des pistes d’action concrètes qui permettraient de réduire la stigmatisation.
Consultation pour obésité : 8 personnes sur 10 sont des femmes
Pourquoi Docteur : Quels sont les profils des personnes qui viennent vous consulter ? Cela a-t-il évolué au fil des années depuis que vous exercez votre profession ?
Dr Rudy Caillet : 80 % des patients sont des femmes, notamment parce qu’elles sont plus sensibles à la stigmatisation et au modèle d'esthétique corporelle et, de fait, plus dans la quête d’un changement de corpulence. La moyenne d’âge se situe autour de 40-45 ans environ. En revanche, il y a de plus en plus d’obésité avec des corpulences très élevées qu’on n'avait pas avant, notamment chez les sujets jeunes.
Comment expliquer cette augmentation de la prévalence de l’obésité ?
Elle est due, notamment, à des modifications environnementales que nous ne maîtrisons pas et qui vont avec le progrès de la société : exposition à divers polluants, aux plastiques, consommation d’additifs alimentaires, etc. Nous savons également qu’il y a en quelque sorte un effet boule de neige de l’obésité car si une maman est en situation d’obésité, elle présente plus de risque de donner naissance à un enfant qui sera en situation d’obésité plus tard. Nous avons également encore des choses à découvrir avec notre microbiote et aussi ce qu’on appelle l’exposome, c’est-à-dire tout ce à quoi nous avons été exposés depuis notre conception dans le ventre de notre mère, car nous savons qu’il y a certainement un déterminisme qui se met en place dans cette période-là.
Dans votre pratique hospitalière, vous rencontrez souvent des patients qui se sentent coupables d’être obèses et de ne pas réussir à maigrir ?
C’est même le cas pour la plupart des gens qui viennent me consulter !
Il y a un courant de pensées qui est ancien, qui est culpabilisant, et qui nous laisse supposer que nous pouvons faire ce que nous voulons de notre corpulence.
Mais d’où vient toute cette stigmatisation des personnes obèses ?
Je pense qu’il y a deux éléments pour l’expliquer. D’une part, il y a un courant de pensées qui est ancien, qui est culpabilisant, et qui nous laisse supposer que nous pouvons faire ce que nous voulons de notre corpulence. Tout le monde est dans l’idée que le poids ne résulte que de ce que nous mangeons... En réalité, notre corpulence est régulée et varie en fonction de notre quantité d'énergie qui est stockée sous forme de masse grasse. Et donc si l’on est plus ou moins gras, on stocke plus ou moins d’énergie. C’est un capital vital qui est régulé pour notre santé, comme notre température corporelle ou notre tension artérielle. D’autre part, les personnes obèses sont également stigmatisées par le simple fait qu’elles sont différentes et, historiquement, toutes les sociétés ont toujours eu tendance à diviser et à faire des petits groupes. Donc même si nous savons que l’obésité est une maladie et que ce n’est pas un problème de volonté, implicitement, à cause du fait que nous ayons grandi dans une société qui fonctionne sur ce mode stigmatisant, nous continuons à avoir une attitude en retrait ou injuste vis-à-vis des personnes en surpoids.
Comment ces regards et ces mots lourds de préjugés impactent-t-ils les personnes souffrant d’un excès de poids ?
La stigmatisation est un modèle de stress sur l’individu. Cette culpabilisation provoque une baisse de l’estime de soi et va entraîner les gens dans une spirale de l’échec. Souvent, ces malades vont de plus en plus s’isoler et ont de gros risques de dépression. Des troubles de la conduite alimentaire, liés au stress et à l’agression permanente de la société envers ces individus peuvent aussi se développer et, au final, cela les empêche d’accéder aux soins de santé. Et, pour peu que l’obésité soit apparue dans des contextes de psychotraumatisme, d’agressions psychiques ou physiques dans l’enfance ou en tant qu’adulte jeune, on a un double effet de renforcement de l’atteinte psychique chez la personne du fait de la stigmatisation.
De la même façon qu’un médecin annonce à son patient qu’il est atteint d’un cancer, nous expliquons à la personne qu’elle souffre d’obésité.
Que faites-vous dans votre cabinet pour aider ces personnes qui se retrouvent malgré elles à être leur propre bourreau en s’en voulant de ne pas réussir à maigrir malgré les régimes à répétition ?
À la première consultation, nous faisons une annonce diagnostique : de la même façon qu’un médecin annonce à son patient qu’il est atteint d’un cancer, nous expliquons à la personne qu’elle souffre d’obésité. Pour une grande majorité de ces patients, nous leur expliquons pourquoi les régimes n’ont jamais fonctionné, etc. Et finalement, les gens se sentent un peu moins coupables et se disent plus légers après ce premier rendez-vous car ils comprennent que ce n’est pas forcément de leur faute et que c’est peut-être simplement leur corps qui résiste à l’amaigrissement.
En tant que médecin, cette communication est très importante pour que le patient comprenne qu’il n’a rien raté de particulier mais que les objectifs ou les moyens utilisés n’étaient peut-être pas les bons. Nous leur expliquons qu’il faut aller plus loin, soit à l’aide de médicaments, soit de la chirurgie, pour faire varier le poids de manière suffisante afin d’améliorer la santé. Nous travaillons également avec des psychologues et des psychomotriciens qui peuvent aider certains malades à travailler sur la relation qu’ils entretiennent avec leur corps.
Il faut sortir de l’image que ce ne serait qu’un problème de ce qu’on met dans notre assiette, de sédentarité et/ou de volonté.
Et comment parvenir à changer le regard de la société sur l’obésité ?
Il faut parler de ce qu’est l’obésité et reconnaître que c’est une maladie chronique qui est récidivante et, surtout, multifactorielle. Il faut sortir de l’image que ce ne serait qu’un problème de ce qu’on met dans notre assiette, de sédentarité et/ou de volonté. Il faut comprendre qu’il y a beaucoup d’autres facteurs qui jouent dans notre société. En bref : le poids est la résultante de quelque chose de très complexe et nous ne pouvons pas culpabiliser les gens pour cela. Il faut que tous les milieux en prennent conscience, car la stigmatisation est présente partout, y compris dans les milieux médicaux ! De nombreux médecins ne sont pas formés à l’obésité et se comportent envers les personnes en situation d’obésité de la même manière que la société se comporte, c’est-à-dire de façon stigmatisante. En tant que soignants, nous avons cette responsabilité, cette obligation de réagir en étant plus inclusifs envers l’obésité afin de déculpabiliser les gens de leur corpulence. Nous devons être les premiers transformateurs de la pensée de la société.