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QUESTION D'ACTU

L'interview du week-end

«Le mode de vie peut faire gagner une dizaine d’années d’espérance de vie en bonne santé»

Aliments à bannir, jeûne intermittent, habitudes de sommeil, exposition au soleil, renforcement musculaire... Dans son ouvrage, la neuroscientifique Emilie Steinbach donne une série de conseils pratiques, preuves scientifiques à l’appui, pour booster naturellement son bien-être et vieillir en bonne santé.

\ Harbucks / istock




Docteure en biologie intégrative et neuroscientifique, Emilie Steinbach est l’autrice de Votre santé optimisée, publié le 5 mars aux éditions Marabout.

- Pourquoi Docteur : Vous proposez dans votre livre un "protocole de mode de vie pour une santé optimale". En quoi notre mode de vie actuel nous rend-il malades ?

Emilie Steinbach : Notre mode de vie occidental ne répond pas du tout à ce pour quoi nous avons évolué. Nous n’y sommes pas adaptés. Il y a un siècle, on mourrait principalement de maladies virales et d’infections. Aujourd’hui, on meurt de maladies chroniques, de maladies de civilisation, qui s’expliquent en partie par ce mode de vie. L’alimentation ultra-transformée, la sédentarité, le manque de sommeil, l’exposition aux écrans le soir, l’alcool... Tout cela perturbe notre écosystème. Notre mode de vie nous rend plus gras et moins musclés, il altère la santé de notre intestin et de son microbiome, il affecte même notre cerveau, notre humeur et nos performances intellectuelles. Au bout du compte, il fait le lit de la plupart des maladies chroniques (obésité, diabète, maladies intestinales, dépression, démence...). La bonne nouvelle, c’est que, contrairement au facteur génétique, le mode de vie est modifiable – dans une certaine mesure.

- Ces maladies chroniques ont souvent un facteur commun : l’inflammation de bas grade, qui se développe lentement et discrètement. D’où vient-elle ?

Le premier foyer de l’inflammation de bas grade (IBG) est l’accumulation de masse grasse, principalement au niveau des viscères. Le tissu adipeux – le "gras" – s’étend au niveau de l’abdomen et devient malade, libérant une large quantité de cytokines pro-inflammatoires. L’alimentation ultra-transformée est également source d’inflammation : elle attaque le microbiome et favorise ce qu’on appelle la perméabilité intestinale. Or un intestin "poreux" laisse passer des composés qui ne devraient pas y entrer et qui nourrissent cette IBG. Le stress, la sédentarité ou encore le manque de sommeil sont aussi des facteurs de l’IBG.

Manger très protéiné au petit-déjeuner a un impact fondamental sur la sensation de satiété pendant la journée, mais également sur la cognition, le comportement, les performances intellectuelles.

- Vous parlez d’un phénomène d’"addiction à la malbouffe". Comment les aliments ultra-transformés nous rendent-ils accros ?

D’abord, les aliments ultra-transformés (AUT) comme les chips, les yaourts, les biscuits, sont conçus pour être irrésistibles, extrêmement appétissants. Même leur texture est pensée comme telle. C’est un assemblage de techniques industrielles et une combinaison de gras, de sucre et de sel – une combinaison introuvable dans la nature – pour faire en sorte qu’on en redemande toujours plus. Ces produits ont été créés pour manipuler notre cerveau et avoir un effet inégalable par rapport à ce qui existe à l’état brut. Des études ont montré que lorsqu’on nourrit des souris d’AUT pendant plusieurs jours, les récepteurs dans l’intestin qui sont censés percevoir le goût du sucre ou du gras sont moins exprimés : les rongeurs ne reçoivent pas le signal dans le cerveau qu’il faut arrêter de manger, car l’intestin ne le perçoit plus. Sans compter que les changements au niveau du microbiome intestinal vont nous rendre de plus en plus disposés à manger ce type d’aliments. Sur le long terme, les AUT sont un cercle vicieux. Dans notre culture, qui en fait la promotion, ils sont devenus une norme dans les moments festifs (goûter d’anniversaire, cinémas...). On a pris l’habitude de "calmer" les enfants avec des AUT. Résultat, il y a une association qui se crée dans le cerveau et le système dopaminergique. On ne devient pas réellement addict au sucre et à la malbouffe, mais de plus en plus de personnes aujourd’hui disent souffrir d’addiction à l’alimentation.

- En pratique, comment changer ses habitudes alimentaires ? Par quoi commencer ?

Il faut essayer d’automatiser son cerveau – qui adore la routine – avec de bonnes habitudes. Une solution est de casser le jeûne avec des protéines au petit-déjeuner. Des recherches montrent que les personnes suivant ce régime ont une moindre sensation de faim au cours de la journée et contrôlent mieux leur appétit. Cela se voit sur les imageries cérébrales : leur cerveau est moins excité par des images d’AUT, il est donc capable d’y résister. Manger très protéiné au petit-déjeuner a un impact fondamental sur la sensation de satiété durant la journée, mais également sur la cognition, le comportement, les performances intellectuelles... Des travaux sur des étudiants en bonne santé ont montré que ceux qui mangeaient un petit-déjeuner sucré pendant une semaine voyaient leur capacité de mémoire chuter par rapport à ceux qui se nourrissaient de protéines dès le matin. Et l’expérience ne durait que quelques jours : imaginez l’impact pendant une vie entière.

Pratiquer le jeûne intermittent permet de réduire sa consommation d’aliments ultra-transformés le soir, d’améliorer sa qualité de sommeil, de mieux réguler sa glycémie... et donc de booster sa santé.

- Et pour éviter le grignotage dans la journée ?

Vous pouvez rendre visibles les "bons" stimuli : si vous avez envie de grignoter et qu’il y a dans votre cuisine une profusion de fruits et d’oléagineux, vous serez plus enclin à en manger car ce sera la première chose que vous verrez. L’aliment naturel, entier, ne pourra jamais être, en termes nutritionnels, égalé par un AUT, des gélules, des compléments alimentaires... Le cerveau est aussi excité par la diversité : plus il y a d’aliments variés, plus on aura envie de les goûter. (Cela fonctionne aussi avec un tapis de sport ou un agenda au mur de sa cuisine pour cocher les jours où on est allé courir.) Autre conseil, plus évident : ne pas acheter d’aliments malsains – et ne pas faire les courses le ventre vide.

- Quels sont les bénéfices du jeûne intermittent que vous préconisez dans votre livre ?

Le jeûne intermittent est très à la mode mais c’est une pratique ancestrale que l’on devrait tous suivre – sauf contre-indication médicale. Pour le rythme circadien, Il faut surtout essayer de dîner tôt, vers 19h ou 20h... et de ne pas remanger avant 12 heures au moins. Aujourd’hui, les gens ont tendance à se nourrir à toute heure, beaucoup jusqu’au moment de se coucher, et principalement des AUT. Or ce n’est pas normal de grignoter devant sa télévision tard le soir. Ni bon pour le sommeil : quand vous mangez à une heure proche de l’endormissement, la digestion va élever votre température corporelle, ce qui altère la synthèse de la mélatonine, l’hormone du sommeil. A votre insu, vous pouvez aussi souffrir de reflux gastrique. Tout cela perturbe considérablement la qualité du sommeil, ce qui a des conséquences sur chaque aspect de notre santé le lendemain : on a davantage faim, on est de mauvaise humeur, triste, anxieux, moins concentré. Pratiquer le jeûne intermittent permet de réduire sa consommation d’AUT le soir, d’améliorer sa qualité de sommeil, de mieux réguler sa glycémie... et donc de booster sa santé.

Il est crucial de se réveiller tous les jours à la même heure – et ne jamais déroger à la règle même en cas d’endormissement tardif.

- Comment justement optimiser notre sommeil ?

Le sommeil joue sur le métabolisme, l’humeur, la régénération cellulaire, la consolidation de la mémoire, la capacité émotionnelle... Il est crucial de se réveiller tous les jours à la même heure, et de ne jamais déroger à la règle même en cas d’endormissement tardif. C’est très important pour les gens qui souffrent d’insomnie de type psychophysiologique, c’est-à-dire causée par notre propre stress et croyance. Pour un meilleur sommeil, il est aussi conseillé de s’exposer à la lumière naturelle intense du jour, le plus tôt possible, pour faire le plein de vitamine D et booster son humeur. On peut aussi opter pour une lampe de luminothérapie : c’est la technique non pharmacologique la plus recommandée par les experts pour soigner la dépression hivernale. Et enfin, s’hydrater, bien sûr : un grand verre d’eau au réveil permet de réhydrater le corps qui a perdu beaucoup d’eau pendant la nuit. Cela vaut d’ailleurs pour toute la journée – même une très légère déshydratation peut nuire aux performances intellectuelles.

- Et après le sommeil... quand boire son café ?

L’heure est surtout cruciale pour les femmes menstruées : ne pas boire de thé ou de café 1 heure avant le repas et 2 heures après le repas, afin d’éviter une carence en fer. Mais d’une manière générale, il est recommandé de retarder son premier café à partir de 9h et de ne pas en boire après 14h – voire encore plus tôt pour les femmes sous contraception hormonale et, plus globalement, les personnes sous traitement médicamenteux. Alors que la caféine agit sur le cerveau en 40 minutes environ, son élimination dans l’organisme est très lente : si l’on en boit après 14h, on se couchera sûrement avec une certaine dose de caféine dans le sang. L’endormissement sera donc plus long, et le sommeil moins profond. Sans compter que la caféine dès le réveil n’aura pas beaucoup d’effet car, si l’on a bien dormi, on n’est pas censé ni être fatigué ni avoir d’accumulation d’adénosine [impliquée dans le transfert d'énergie dans le cerveau]. Il faut enfin savoir que la caféine a une relation de U inversé avec les performances cognitives : une ou deux tasses vont les booster, mais en boire davantage va nuire à vos capacités, au point de vous faire entrer dans un état de vigilance et commettre plus d’erreurs, comme un état de stress – bref cela peut être contre-productif.

[En changeant son mode de vie], on peut espérer gagner plus de dix années d’espérance de vie en bonne santé si on s’y prend avant 20 ans, et jusqu’à dix années si on s’y prend après 40 ans.

- Quel rôle joue l’activité physique sur le bien-être et le vieillissement ?

Votre masse musculaire est un des meilleurs prédicteurs de bonne santé et de longévité. Et c’est le seul organe sur lequel on peut avoir un contrôle volontaire : alors qu’il est difficile d’agir sur sa masse grasse, on peut en revanche travailler sur sa masse musculaire et obtenir rapidement des résultats sur son métabolisme. Ce n’est pas tout : l’activité physique permet aussi de booster la synthèse de nombreuses molécules, des hormones et neurotransmetteurs qui nourrissent la bonne humeur, la créativité, les performances intellectuelles. La recherche montre que les jours où l’on est physiquement actif, on vit moins de conflits et on a la sensation d’avoir vécu une meilleure journée. Le sport est également une des meilleures stratégies pour prévenir le déclin cognitif, voire le réduire chez les personnes âgées. Pratiquer une activité régulière, faire du renforcement musculaire permet tout simplement de rester physiquement (et mentalement) indépendant quand on prend de l’âge.

- Vous proposez d’"entraîner votre cerveau à l’optimisme", lequel nous permettrait de vivre en meilleure santé selon la science. Comment programmer son cerveau à voir le verre à moitié plein ?

La méditation et la respiration sont importantes, mais cela a surtout un effet sur la relaxation, la gestion du stress. Pour gagner en optimisme, un journal de gratitudes, de fiertés, d’événements positifs, s’avère particulièrement efficace. Alors que le cerveau se focalise naturellement sur ce qui va mal (pour assurer sa survie), le journaling permet de forcer notre esprit à se concentrer sur des choses positives, à se reprogrammer pour voir le fait que, même si on est fatigué, il fait grand soleil !

- Combien d’années de vie en bonne santé peut-on espérer gagner en appliquant votre protocole ?

C’est très difficile à dire, mais des études suggèrent que cela peut faire gagner une dizaine d’années. Les personnes qui ont un mode de vie sous-optimal et qui se mettent à suivre, grosso modo, ce que je décris dans mon livre, peuvent espérer gagner plus de dix années d’espérance de vie en bonne santé si elles s’y prennent avant 20 ans, et jusqu’à dix années si elles s’y prennent après 40 ans.

- Est-ce si simple ? La nutrition, l’activité physique, le sommeil ou encore l’exposition au soleil – des paramètres très physiologiques finalement – peuvent-ils vraiment nous rendre heureux si on ne l’est pas dans sa tête ? N’est-ce "que" préventif ou cela peut-il aussi "soigner" une dépression par exemple ?

J’invite surtout à la bienveillance car, attention, on ne sort pas d’un trouble du comportement alimentaire ou d’une maladie comme la dépression en adoptant trois ou quatre habitudes piochées sur les réseaux sociaux. C’est plus compliqué que cela, surtout quand on souffre d’obésité – soit 50% de la population d’ici à 2050. Il est primordial d’y aller progressivement, voire de se faire accompagner par un professionnel de santé si besoin. Mais toutes les recommandations de mon ouvrage – manger protéiné le matin, se réveiller à heures fixes... – sont basées sur des études de qualité. Ce ne sont pas des conseils de sorcier. Les mettre en œuvre, n’en serait-ce que trois, peut réellement changer votre vie.

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