A l'approche des élections municipales de mars 2014, et un an après l’annonce du plan quinquennal de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, l'association française "Médecins du Monde" (MdM) souhaite rappeler à tous les élus français leur responsabilité dans la lutte contre les inégalités sociales et territoriales de santé. Grâce à leurs compétences, les élus municipaux peuvent en effet agir sur ces secteurs : action sociale, logement, hébergement, accès à l’eau et à l’hygiène. De plus, ils doivent aussi veiller à ce que tous les habitants d’une commune puissent accéder à toutes les structures, programmes et actions de santé existant localement. Des missions que certains élus semblent visiblement avoir oublié...
Les dispositifs sanitaires et sociaux pas suffisants
Ce vendredi, MdM rend en effet publique sa dernière enquête menée dans 14 villes où l’association intervient (1). D'après ces résultats, les dispositifs sanitaires et sociaux, bien qu’existants, ne sont pas suffisants dans les principales villes françaises comme Lyon, Marseille, Nantes, Nice, et Paris. Un constat préoccupant lorsqu'on sait que ces structures servent à diagnostiquer les besoins des populations précaires, et à améliorer leur accès aux soins et aux droits. Dans le cas des Centre communal d’action sociale (CCAS), qui ont une mission de domiciliation des personnes sans domicile stable, les résultats de l’enquête révèlent que le recours à l’interprétariat ou à la médiation n’est pas systématique : 55 % ne font jamais appel à des interprètes, et 80 % n’ont jamais recours à la médiation.
Et ce manque pose problème pour la santé des plus précaires. Car outre cette mission de domiciliation de droit commun, les CCAS doivent recevoir et instruire les demandes de domiciliation pour l’aide médicale d’état. Ainsi, MdM constate une application inégale selon les territoires du droit à la domiciliation dans le cadre de l’AME. Pour ces médecins, cette injustice viendrait d'une part de la condition de régularité de séjour en France qui est parfois exigée. D'autre part, du lien avec la commune qui est parfois interprété de manière trop restrictive.
Par ailleurs, les Permanences d’accès aux soins de santé (PASS), dispositifs de prise en charge médicale et sociale situées au sein des centres hospitaliers sont encore trop peu connues, insuffisamment déployées et souvent non efficientes dans les villes métropolitaines et dans les DROM. Enfin, les PASS mobiles et spécialisées sont trop rares, en particulier celles dédiées à la prise en charge des soins pédiatriques et dentaires.
De fortes disparités régionales dans l’accès à l’eau et l’hygiène
En outre, Médecins du Monde point les fortes disparités dans l’accès effectif à l’eau des populations précaires. Sur les 11 villes métropolitaines, 1 bain douche municipal couvre en moyenne 15 000 ménages pauvres. Bien que toutes les villes enquêtées disposent de points d’accès à l’eau potable et aux bains-douches, leur nombre est insuffisant.
Par exemple, à Calais, un seul point d’eau est mis à la disposition des migrants et il n’est ouvert qu’à des horaires restreints et est utilisé pour l’hygiène de 300 à 400 personnes. A Marseille, la majorité des fontaines publiques sont cassées et il n'est pas envisagé de travaux pour les remettre en état dans les prochaines années. Enfin, l’élimination des déchets dans les bidonvilles et les squats reste problématique dans la majorité des villes interrogées.
Les populations les plus vulnérables restent stigmatisées
En matière de « vivre-ensemble » et d’intégration des plus précaires dans l’espace public, il existe là-aussi une forte disparité entre les villes. Les arrêtés municipaux se multiplient : 29% des villes sondées appliquent des arrêtés « anti-mendicité » ou « anti-prostitution ». « Ces politiques de tranquillité publique criminalisent et stigmatisent les populations les plus vulnérables, et les éloignent des dispositifs de droit commun », fait remarquer MdM. Par exemple, Nice applique un arrêté anti-mendicité : cette mesure est prise dans le but d’éloigner les SdF des lieux fréquentés, véritable incitation à la discrimination envers les pauvres. Enfin, parmi les villes enquêtées, 50% font état d’actions répressives répétitives envers des publics spécifiques. Il s’agit essentiellement de pressions policières ou d’actes d’intimidation.
Les recommandations de Médecins du Monde
A l’appui de cette enquête, Médecins du Monde insiste pour que la santé soit au cœur du débat municipal. L'association formule ainsi plusieurs recommandations. Parmi elles, le renforcement et la multiplication des dispositifs d’accès aux droits (type CCAS), avec la promotion au sein de ces structures de l’interprétariat, la médiation, et la simplification de l’accès à la domiciliation.
Par ailleurs, ces médecins demandent la promotion des Permanences d’accès aux soins de santé (PASS), y compris mobiles et spécialisées, et des dispositifs d’accès aux soins de proximité (type CMS), dans le respect du plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et l’inclusion sociale.
Enfin, MdM exige la facilitation de l’accès à l’eau et de l’hygiène des plus précaires, quel que soit leur type d’habitat, et le ramassage des ordures pour tous les habitants, y compris dans les bidonvilles.
(1) Calais, Grenoble, Lyon, Marseille, Nantes, Nice, Paris, Rouen, Saint-Denis, Strasbourg, Toulouse, Saint-Denis de la Réunion, Koungou (Mayotte), Cayenne, Matoury et Rémire (île de Cayenne).