Concevoir un enfant à partir du code génétique de 3 individus. Alors que ce défi scientifique a déjà été relevé à plusieurs reprises par différents chercheurs à travers le monde, cette technique ne cesse d’agiter la communauté scientifique depuis vingt ans.
Concrètement, cette méthode de procréation assistée consiste à retirer de l’ovule de la mère la mitochondrie défectueuse, c’est-à-dire le générateur d’énergie des cellules, pour la remplacer par une mitochondrie saine issue d’une donneuse. Une fois fécondé par le sperme du père, l’ovule est implanté chez la mère et le fœtus se développe ainsi avec une combinaison des trois ADN.
Au delà des questions éthiques qu’elle soulève, c’est également la sécurité de la méthode, à la fois pour la mère comme pour l’enfant, qui divise les experts.
Aux Etats-Unis par exemple, un comité de spécialistes vient de rendre ce mercredi des recommandations très mitigées à la Food and Drug Administration (FDA). Selon eux, cette procédure évaluée là, dans le cadre où elle permettrait d’éviter la transmission de maladies mitochondriales rares mais incurables, n’est pas assez sûre pour autoriser le début d’essais cliniques chez l’homme. « Il y a dans l’ensemble une grande inquiétude quant au bien-être de ces enfants, a déclaré le Dr Evan Y. Snyder, président du comité d’experts à l’AFP. A ce stade de la recherche, il n’y a probablement pas assez de données, que ce soit dans les expérimentations animales qu’en laboratoires, pour commencer des essais cliniques ».
Pourtant ce jeudi, de l’autre côté de l’Atlantique, les spécialistes britanniques semblent prendre une autre voie. En effet, un projet de réglementation vient d’être publiée qui pourrait faire de la Grande-Bretagne le 1er pays au monde proposant la « FIV à 3 ADN » aux parents désireux d’éviter pour leurs enfants certaines maladies génétiques incurables. Le gouvernement a toutefois précisé que cette réglementation devrait encore être soumise à référendum et à l’approbation du Parlement.
Des expériences menées dans le New Jersey
« A ma connaissance, il y a au moins une vingtaine d’enfants qui sont nés aux USA conçus à partir de trois ADN, explique le Pr Samir Hamamah, chef du département de biologie de la reproduction du CHU de Montpellier. A la fin des années 90, le Dr Jacques Cohen dans le New Jersey s’était lancé dans ces expériences. Il a d’ailleurs publié plusieurs études sur le sujet qui ont donné naissance à plusieurs enfants, mais personne ne sait comment ils se portent aujourd’hui ».
Même s’il ne s’agissait pas exactement des méthodes testées actuellement sur des souris ou sur des singes, en 2001 la FDA a arrêté ce type d’expérimentations pour des raisons éthiques. Aujourd’hui, certes grâce à des techniques différentes, certains spécialistes désirent se lancer à nouveau dans ces modifications génétiques des enfants à naître, pour venir en aide à des familles à risque de maladies mitochondriales. Des pathologies incurables transmises par la mère et qui touchent environ 1 enfant sur 6500 dans le monde.
Jouer avec le feu et faire naître de faux espoirs
« Aujourd’hui, le drame de l’aide médicale à la procréation, c’est qu’on veut toujours aller plus loin et plus vite, confie le Pr Hamamah. Avec ces techniques, je considère que l’on joue avec le feu et qu’on risque de faire naître de faux espoirs chez ces familles.
Selon lui, les données scientifiques actuelles ne permettent d’affirmer que ces méthodes permettent d’enlever toute trace de l’ADN malade de la mère au sein de son ovule et donc le risque de transmission au bébé. Enfin, rien ne permet selon lui de garantir aujourd’hui, l’état de santé futur de ces enfants hybrides.
Pour le moment, ces nouvelles stratégies ont seulement été testées sur des souris et des singes, et dans une mesure limitée sur des ovocytes humains et des embryons in vitro. « Il s'agit de faire des changements génétiques qui auront chez les enfants à venir des manifestations dans toutes les cellules de leur corps », a déclaré à Medpage le Pr Marcy Darnovsky, directrice du Center for Genetics and Society en Californie à Medpage.
Cette spécialiste a rappelé que les femmes atteintes de maladie mitochondriale disposent d’alternatives pour avoir un bébé sain comme l'adoption ou la FIV avec don d’ovocyte. « Même si on manque toujours de don d’ovocyte, pour ces femmes aujourd’hui c’est la technique la plus sûre. Bénéficier d’un don d’ovocyte est selon moi pour le moment le moyen le plus sain et le plus contrôlé pour lutter contre les maladies mitochondriales », conclut le Pr Hamamah.