« Ca va mal se finir » aurait lancé Aquilino Morelle à son cireur de souliers attitrés lors d'une conversation par téléphone. D'après ce dernier, l'ancien conseiller de l'ombre de François Hollande lui reprocherait d'avoir divulgué à la presse qu'il possédait 30 paires de chaussures de luxe faites sur mesure. Mais aujourd'hui, c'est pour « Le petit marquis » (son surnom à l'Elysée) que les choses finissent mal. L'homme est en effet accusé depuis jeudi par Mediapart de conflit d'intérêts avec l'industrie pharmaceutique alors même qu'il était membre de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), le grand corps de l'Etat qui supervise les politiques sanitaires et sociales. Face à la polémique, il a annoncé ce vendredi 18 avril à l'Agence France Presse sa démission. « Je veux redire que je n'ai commis aucune faute. Je n'ai jamais été en situation de conflit d'intérêts, affirme-t-il. Néanmoins, j'ai décidé de mettre fin à mes fonctions de conseiller à la présidence de la République. » Selon lui, pour être « entièrement libre de répondre à ces attaques. »
Une activité en parallèle pour les laboratoires Lundbeck
Dans cette histoire, ce docteur en médecine, énarque, et dont le nom circulait pour devenir secrétaire d'Etat à la Santé,est accusé par le site d'information dirigé par Edwy Plenel d'avoir « travaillé en cachette pour des laboratoires pharmaceutiques. » Selon ces journalistes, Aquilino Morelle aurait touché 12 500 euros d'un laboratoire danois, Lundbeck, en 2007 alors qu'il était à l'IGAS. Ce qui est rigoureusement interdit par la loi puisque « les fonctionnaires et agents non titulaires de droit public consacrent l'intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées. Ils ne peuvent exercer à titre professionnel une activité privée lucrative, de quelque nature que ce soit. » Seuls « l'expertise, la consultation, les activités littéraires et scientifiques et les enseignements peuvent être autorisés », assure l'IGAS, interrogée par Mediapart.
Pas de liens d'intérêts déclarés auprès de l'Igas
A ce titre, l'Inspection précise qu'elle a uniquement donné son feu vert pour que l'ex-conseiller de l'Elysée puisse donner des cours à la Sorbonne. Mais pas de trace d'une autorisation pour travailler avec un laboratoire privé, que le chef de l'IGAS de l'époque, André Nutte, « ne se souvient pas avoir signée ». Cette activité non déclarée pourrait donc s'apparenter à une prise illégale d'intérêts, un délit puni de 75 000 euros d'amende et de 5 ans de prison. Surtout que pour pour André Nutte, « on ne peut pas avoir une mission d'inspection et de contrôle et apporter une prestation d'assistance à une entreprise qui fait partie du contrôle. On peut parler de conflit d'intérêt ou au moins évoquer la notion, c'est la moindre des choses », a-t-il estimé au micro de RTL.
Mais dans un « droit de réponse » publié sur sa page Facebook, Aquilino Morelle estime avoir respecté les règles : « En tant que fonctionnaire, un certain nombre d’activités annexes sont autorisées par la loi, dont l’enseignement et le conseil. C’est dans ce cadre que j’ai accepté le contrat ponctuel avec le laboratoire Lündbeck (15 octobre / 31 décembre 2007). (...) Ces activités ont dû être déclarées à l’IGAS. Je n’ai pas retrouvé la trace de cette démarche en dépit de mes recherches. » « A aucun moment je n’ai donc été en situation de conflit d’intérêts », affirme-t-il.
Mediator : l'auteur d'un rapport sans concession contre Servier
Pourtant, certains faits dans son parcours sont pour le moins troublants. En 2007, alors qu'il rédige un rapport de l'Igas sur les programmes d'accompagnement des patients « financés par les entreprises pharmaceutiques, il oeuvre parallèlement, écrit Mediapart, pour Lündbeck », organisant même deux rendez-vous avec le Comité économique des produits de santé (CEPS) qui fixe le prix des médicament et les taux de remboursement. Selon un dirigeant du laboratoire interrogé par Mediapart, Aquilino Morelle leur aurait ouvert des portes. « Il nous a permis d'aller défendre notre dossier auprès de la bonne personne. On cherchait à stabiliser le prix du seroplex, un anti-dépresseur...»
Par ailleurs, l’affaire prend une tournure toute particulière au vu de l'image dont bénéficiait jusqu'à présent Aquilino Morel dans l'opinion publique. Celui qui est aujourd’hui accusé de conflit d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique est aussi l’auteur en 2011 d’un rapport de l’IGAS sur l’affaire Mediator particulièrement sévère à l’encontre du laboratoire commercialisant ce produit. « Servier est intervenu sans relâche pour pouvoir continuer la commercialisation du Mediator (à la fin des années 1990 où il aurait dû disparaître du marché) et le faire reconnaître (sans succès) comme antidiabétique. Pire, le laboratoire a anesthésié et roulé dans la farine certains des experts de l'Agence du médicament », écrivait-il.
La Haute Autorité pour la transparence va enquêter
Pour rappel, depuis l'affaire Mediator la loi s'est durcie face à ce type de comportements. Sous l'impulsion de Xavier Bertrand et une loi de décembre 2011, un décret pris en mai 2013 vise maintenant à faire la transparence sur les liens entre médecins et industriels. Ce texte impose désormais de rendre public les avantages de plus de 10 euros versés par un laboratoire à tout médecin, étudiant, société savante ou association de patients.
Par ailleurs, les conventions ou contrats passés entre un professionnel de santé et un industriel devront également être déclarés. Un site internet public unique est en préparation pour centraliser toutes ces informations. L’Agence nationale de sécurité du médicament pourra en contrôler la validité et en cas de fausse déclaration, les amendes pourront aller jusqu’à 45 000 euros.
Le temps de l'impunité est clairement passé, Aquilino Morelle est aujourd'hui acculé de toutes parts. A l'instant, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique indique étudier le dossier d’Aquilino Morelle, et avoir entamé « une étude plus approfondie de ses déclarations d’intérêts et de patrimoine », remises en janvier dernier par les ministres et tous les collaborateurs du Président.