« Lors des Jeux Olympiques d'hiver à Salt Lake City (Etats-Unis, 2002) les médecins ont découvert dans l'urine de certains sportifs une molécule anabolisante dont on ne connaissait même pas l'existence. Ils ont alors fait des recherches rétrospectives, et ont retrouvé par la suite beaucoup de cas positifs à cette molécule. C'était en fait de la tétrahydrogestrinone (THG), un stéroïde anabolisant qui n'existait pas dans la pharmacopée. Ce stéroïde qui a été créé par chimie de synthèse était jusqu'à cette date indécelable aux tests urinaires classiques. » Ce souvenir, c'est celui du Dr Bruno Sesboué, président de l'association nationale des antennes médicales de prévention du dopage. Pour ce médecin du sport au CHU de Caen, le projet des instances sportives (CIO, FIFA, Agence mondiale antidopage) de conserver pendant 10 ans les échantillons d'urine des athlètes lors des compétitions sportives est donc une bonne idée.
En effet, à 47 jours du début de la Coupe de monde de foot qui se déroulera au Brésil (12 juin-13 juillet), et dans un contexte de révision du Code mondial antidopage 2015 prévue pour bientôt, c'est un gros coup de pression que mettent les instances sportives à l'encontre des joueurs qui pourraient être tentés par la triche. Et d'après les experts du sport de haut niveau, cette proposition "choc" publiée vendredi dans le British Journal of Sports Medicine a de grandes chances de voir le jour.
Certains produits dopants ne sont même pas recherchés
Contacté par pourquoidocteur, le Dr Gérard Nicolet, ancien médecin sur le Tour de France, a réagi positivement à cette annonce : « Aujourd'hui, les protocoles et procédures antidopages sont largement plus souples que le texte proposé. La conservation des échantillons d'urine existe déjà, mais elle se fait la plupart du temps dans l'anonymat et avec l'accord des sportifs. En fait, pour le moment, on se contente d'une analyse au moment du prélèvement, on regarde, puis on jette. La nouveauté ici c'est que les prélèvements seront désormais gardés dix ans et ré-analysables pendant tout ce laps de temps. »
Un changement important surtout qu'à l'heure actuelle on recheche un nombre d'éléments insuffisant. Et de nombreux produits dopants restent encore indétectables lors des analyses. C'est le cas par exemple des produits les plus récents, comme ceux du transport de l'oxygène, qui pourraient potentiellement être utilisés par les sportifs. Ils ne font pas l'objet de dépistage puisqu'ils ne sont pas encore suffisamment connus. C'est aussi le cas des hormones de croissance que les techniciens de laboratoire n'arrivent toujours pas à détecter. Il y a aussi les fameuses molécules "AICAR", un produit qu'on ne recherche pas car on est encore incapable de le détecter. Ou encore l'EPO qu'on a toujours du mal à retrouver à cause des microdoses utilisées par certains sportifs.
Enfin, reste les substances qui ne sont même pas recherchées car on n'avait même pas imaginé qu'elles pourraient un jour être utilisées comme produit dopant. « C'est le cas de l'insuline qui permet de stocker le sucre et donc le glycogène. Résultat, à un moment donné le sportif peut produire des efforts beaucoup plus intenses et sur une plus longue durée », relate le Dr François Poyet, responsable de l'antenne de prévention et de lutte contre le dopage en Auvergne.
Ecoutez le Dr François Poyet, médecin du sport et psychiatre au CHU de Clermont-Ferrand : « Dans le rugby, j'ai vu certains sportifs étrangers qui utilisaient des produits masquants anti-testostérone. Comme des produits pour faire pousser les cheveux alors qu'ils avaient 25 ans...»
10 ans : une épée de damoclès tout le long de la carrière du sportif
Ainsi, l'idée de ce nouveau texte est de donner un temps d'avance à la lutte antidopage avec une sanction possible des sportifs tricheurs a posteriori. Le principe est donc clair, avec ce délai de 10 ans, c'est une épée de damoclès tout au long de la carrière du sportif. Car dans ce domaine, les techniques évoluent vite et on découvre fréquemment de nouveaux produits dopants. A ce titre, des avancées scientifiques sont déjà annoncées pour bientôt. C'est le cas de la mise en place d'un profil sanguin qui devrait prochainement voir le jour. Le but est de détecter les suspicions dès lors que certains paramètres du sang bougent. Reste que les produits dopants sont souvent fabriqués dans des conditions sauvages. De ce fait, ils restent difficilement identifiables par les laboratoires traditionnels.
Cette menace de se faire attraper, certains cyclistes l'ont déjà. Ces sportifs lors des contrôles antidopage signent déjà un papier stipulant que leurs échantillons urinaires peuvent être conservés et faire l'objet de recherches ultérieures. « Généralement ils sont tous d'accord, et même parfois demandent ces tests », confie au passage, le Dr François Poyet. Egalement médecin de l'Equipe de France junior de vélo, ce psychiatre du sport rappelle que cette modification du règlement c'est aussi sortir de l'illégalité certains "chevaliers blancs" de la lutte antidopage. La loi ne permettait en effet pas pour le moment de conserver ces échantillons urinaires plus de 10 ans. Preuve en est l'affaire Lance Armstrong dans laquelle le laboratoire français de Châtenay-Malabry (92) s'était vu interdire de réanalyser de vieux échantillons urinaires du cycliste.
Ecoutez le Dr Gérard Nicolet, médecin du sport au Centre national de ski nordique à Prémanon (Jura) : « L'idée c'est de dire au sportif que peut-être dans 3-4 ans on aura de nouvelles méthodes de dépistage des produits dopants aujourd'hui indétectables. Ainsi, si on réanalyse un jour, une sanction a posteriori est possible. »
L'expérience peu concluante du passeport biologique
En outre, cette option est d'autant plus intéressante que certains produits restent très longtemps dans l'organisme. C'est le cas des cannabinoïdes que l'on va retrouver très longtemps dans le sang et les urines. Malheureusement, la plupart des produits dopants sont dits "courts" et s'éliminent très rapidement. C'est le cas de la fameuse EPO, fréquemment utilisée dans le cyclisme.
Bien sûr, conserver les échantillons d'urine pendant 10 ans n'est pas la solution miracle. La lutte antidopage se dote de plusieurs armes. Récemment, la FIFA s'est inspirée du cyclisme en mettant en place le passeport biologique. Là encore, ce dispositif permet de comparer dans le temps certains paramètres du sportif (globules, taux d'hématochrites). Le suivi est permanent mais les échantillons urinaires ne sont pas conservés. Cette technique est basée sur le fait que si quelque chose change c'est qu'il y a une suspicion de dopage. Théoriquement, l'athlète ne peut donc pas faire n'importe quoi, car s'il y a une variation les doutes émergent. Cependant, cette méthode ne permet aucune sanction car aucun produit de dopage n'est recherché lorsque ce passeport biologique est régulièrement réactualisé. « Résultat, le sentiment d'impunité demeure toujours dans certains milieux sportifs », commente le Dr François Poyet.
Conserver un produit dix ans convenablement est-il possible ?
Enfin, malgré les bonnes intentions des autorités sportives, un problème important subsiste, celui de la fiabilité de la conservation et du coût logistique. Au Conseil fédéral d'appel de Fédération Française du Cyclisme (FFC), le Dr Gérard Nicolet dit avoir entendu de nombreuses discussions scientifiques sur le sujet. « Les sportifs inévitablement disaient que la conservation n'avait pas été bien faite et que le produit s'était détérioré. » Par exemple, des chercheurs soutiennent qu'un produit congelé dix ans ne sera plus jamais le même produit. Conclusion, cette mesure aura certes un effet disuasif sur les sportifs, mais elle reste très difficile à mettre en place.
Ecoutez Gérard Nicolet : « Si un produit est stocké 6 ans à Lausanne ou à Montréal, inévitablement, le sportif va dire que la conservation n'a pas été bien faite dans des conditions scientifiques et que le produit s'est dégradé...»