« Ne prenons pas des airs de demi-dieux ou même de démiurges, là où nous n’avons été que de petits sorciers ». C’est sur cette citation de Jean Rostand que débute la préface du livre de Jacques Testart. Trente six ans après le premier bébé éprouvette, dont ce biologiste a été l’un des « pères », il dénonce aujourd’hui les dérives des techniques d’aide à la procréation médicale dont il a pourtant été l’un des pionniers. Face aux progrès incessants du secteur et à la surmédicalisation de la conception, Jacques Testart appelle donc à la prudence. Même s’il reconnaît que la France est encore préservée de certaines dérives déjà proposées à des couples « plus ou moins » infertiles dans d’autres pays, ce précurseur de la fécondation in vitro s’alarme du développement silencieux d’un « eugénisme doux, invisible, consensuel et démocratique ».
Pensez-vous que, comme certaines sociétés le proposent déjà aux USA, la France se dirige également doucement vers le tri sélectif de l’embryon parfait ?
Jacques Testart : Je pense que la France sera le dernier pays à faire ce genre de chose, mais qu’elle le fera quand même. Il va y avoir un effet d’entraînement, il y a déjà des pays en Europe, qui font des choses interdites en France. En Angleterre par exemple, on peut subir une FIV, sans être stérile, pour éviter d’avoir un enfant qui louche. Donc je ne vois pas comment on pourrait résister à tout ça. La France a certes un comité d’éthique, une législation, tant mieux, mais je ne crois pas que tout ça résistera aussitôt qu’il y aura des choses concrètes qui seront disponibles et dans lesquelles les gens verront un avantage.
Vous dénoncez le développement massif de la PMA, faut-il durcir les conditions actuelles d’accès à ces techniques ?
Jacques Testart : Oui, on pourrait mettre des règles plus strictes. Il n’est pas normal que cela augmente autant. Cela se voit très bien dans les bilans que l’on donne à l’Agence de la Biomédecine. Ce que l’on appelle les stérilités idiopathiques, celles où l’on comprend rien, elles repréentaient environ 5% des FIV, au début du développement de la technique, et il y a une dizaine d’années c’était 25% des couples. Pourtant quand il s’agit de gens qui n’ont pas d’enfant au bout de 2 ans, on pourrait peut être attendre un peu plus.
Qui a laissé dériver les indications de la FIV ?
Jacques Testart : Pas seulement les médecins. Les gens sont demandeurs et impatients, et ils savent qu’il y a des lieux de performance médicale dans les centres d’AMP et aussitôt qu’ils ont le moindre souci pour faire un bébé, ils vont là. Et quand ils y vont, ils ne s’échapperont pas avant d’avoir une FIV.
Vous remettez également en cause la prise en charge totale par la sécu des actes ?
Jacques Testart : Oui il n’est pas normal que la PMA soit prise en charge à 100%. Il n’y a pas de raison qu’on paye pour les dents, pour les lunettes, qui sont nécessaires. Si les gens payaient peut être 30% du coût réel des actes, je crois que ça limiterait beaucoup. Parce que la gratuité cela encourage la consommation.
Quelle est votre position concernant l’ouverture de la PMA aux couples homosexuels ?
Jacques Testart : Je ne suis pas un moraliste, je n’ai pas d’opposition de principe. Mais ça se ramène toujours à une insémination artificielle et pour moi ce n’est pas un acte médical. C’est même grossier d’avoir transformé cet acte banal, en acte médical. C’est de la surmédicalisation, si les gens se prenaient en charge tout seul, comme l’ont fait les lesbiennes américaines depuis 40 ans qui s’auto-inséminent, avec (du sperme) que l’on trouverait dans la communauté dans laquelle on vit. On pourrait régler ce problème d’un point de vue technique.
Plusieurs études montrent que la qualité du sperme se dégrade, selon vous, d’ici quelques décennies la FIV pourraient s’imposer pour tous. Est-il encore possible d’inverser ce phénomène?
Jacques Testart : C’est très difficile. Parce que si l’on pense aux perturbateurs endocriniens qui sont répandus un peu partout, même si on les éliminait, d’ici une dizaine d’années, on aurait des effets rémanents. Ils agissent à des doses tellement faibles, et ils ont une durée de vie très longue, qu’on en a pour des générations. On est donc désormais dans un système très grave du point de vue de la fertilité humaine. C’est pourquoi, je le dis un peu comme une plaisanterie, qu’on a bien fait d’inventer la fécondation avec un seul spermatozoïde au moment où les hommes deviennent stériles. Je crois qu’on est parti pour quelque chose qui s’inscrit maintenant dans l’évolution de notre espèce.