Si nous continuons sur les tendances actuelles, il faudra encore plus de 110 ans pour qu’un bébé né en Afrique ait les mêmes chances de survie qu’un enfant né en Amérique du Nord ou en Europe. C’est un constat d’inégalités croissantes que dresse la série d’articles publiés aujourd’hui dans la revue médicale The Lancet. « Nous avons fait des progrès spectaculaires contre la mortalité infantile ces dernières années mais il est clair que les nouveaux-nés ont été délaissés », reconnaît le Dr Mickey Chopra, chef du département Santé de l’Unicef. Les chiffres en témoignent, la part des nouveaux-nés dans les décès survenus avant l’âge de 5 ans est passée de 36% en 1990 à 44% en 2012 et au cours des dix dernières années, le taux de mortalité néonatale a diminué deux fois moins que celui des enfants de moins de 5 ans.
Preuve ultime de négligence selon les experts, un grand nombre de ces enfants n’entrent même pas dans les statistiques, faute de certificat de naissance et de décès. « Chaque jour, 15 000 bébés naissent et meurent sans même recevoir un bout de papier. Ce manque d’enregistrement reflète le fait que le monde accepte ces décès, comme s’ils étaient inévitables, regrette le Pr Joy Lawn, pédiatre et épidémiologiste à la London School of Hygiene &Tropical Medicine au Royaume-Uni. Ce fatalisme, ce manque d’attention et d’investissement sont les causes des progrès au ralenti de la mortalité des nouveaux-nés et des fausses couches. »
71% des nouveaux-nés pourraient être sauvés
Pourtant, les spécialistes sont formels, études abondamment chiffrées à l’appui, 71% de ces nouveaux-nés pourraient être sauvés, 33% des fausses couches et 54% des décès maternels évités. Au total, près de 3 millions de vies seraient épargnées grâce à la mise en place d’unités kangourou pour éviter de séparer les prématurés de leurs mères, de services de réanimation des nouveaux-nés, de programmes de prévention des infections néonatales, d’utilisation de corticostéroïdes contre les accouchements prématurés ou encore de promotion de l’allaitement. A l’échelle de la planète, le coût de ces programmes et infrastructures à développer reviendrait à investir 1,15 dollar par personne. L’une des études publiées par The Lancet met notamment en avant le Malawi, le Népal et le Pérou, 3 pays qui ont vu récemment leurs mortalités néonatale et maternelle décroître grâce à la formation et au recrutement de davantage de sages-femmes et d’infirmières et à des programmes d’accompagnement renforcé des grossesses pour les familles les plus pauvres.
« En finir avec les décès évitables de nouveaux-nés en 1 génération »
En nombre, ce sont l’Inde, le Nigéria et le Pakistan qui payent le plus lourd tribut à cette mortalité néonatale. Mais si l’on regarde les 9 pays de la planète qui ont un taux de mortalité néonatale supérieur à 40 décès pour 1000 naissances, 8 d’entre eux sont en Afrique Sub-Saharienne et la moitié sont touchés par un conflit armé, déstabilisant aussi le système de santé. Réunis en ce moment à Genève pour l'Assemblée mondiale de la Santé, les 194 états-membres de l’OMS doivent s’engager demain sur un plan d’actions contre les décès de nouveaux-nés. Les mesures visent l'accompagnement des femmes au cours de leur grossesse et aux premiers moments de vie de leur enfant. L'objectif affirmé par le Dr Elizabeth Mason, directrice du département Santé maternelle, néonatale, infantile et adolescente de l'Organisation mondiale de la santé est ambitieux : « en finir avec les décès évitables de nouveaux-nés en une génération ».