REPORTAGE - En mars 2014, le Pr Bertrand Dautzenberg a ouvert la première consultation médicale entièrement dédiée à la e-cigarette. Pourquoidocteur dresse les portraits de ces patients qui veulent sortir du tabac par le plaisir.
« Je suis très optimiste pour l'avenir. L'objectif, c'est zéro fumeur en France dans quinze ans ». Le Pr Bertrand Dautzenberg, auteur du premier rapport sur la e-cigarette remis au gouvernement français en 2013, met la barre très haut. Et il se donne les moyens de ses ambitions puisque ce pneumologue à l'Hôpital de la Pitié Salpêtrière (Paris) a lancé le jeudi 13 mars 2014 la première « consultation médicale e-cigarette » française dans son service. Elle est ouverte à toutes les personnes ayant - ou ayant eu - une histoire d'addiction avec le tabac : fumeurs, ex-fumeurs, vapoteurs, vapoteurs et fumeurs. Trois mois après son lancement, c'est l'heure du premier bilan. Fait d'échecs et de réussites, les patients se sont livrés sans détour au micro de Pourquoidocteur.
« Grâce à la e-cigarette, j'ai gagné le combat de ma vie. »
Pour Jeanne, c'est une deuxième vie qui débute. Elle annonce dès le début de sa consultation qu'elle a gagné le combat de sa vie grâce à la e-cigarette. Celui contre le tabac. Déçue par les patchs à la nicotine et autres nicorettes (chewing-gum), cette femme de 51 ans s'est mise à la e-cigarette après qu'on lui a découvert des nodules pulmonaires, une lésion, plus ou moins arrondie, de moins de 3 cm de diamètre entourée de tissu pulmonaire sain. Après avoir fumé jusqu'à un paquet par jour à l'âge de 18 ans, Jeanne se dit désormais délivrée du tabac. Un parcours fait de petites victoires au quotidien. D'abord supprimer la première cigarette du matin, puis la seconde. Aujourd'hui, cette femme affirme même que le vapotage lui procure plus de plaisir que le tabac auparavant. D'ailleurs, la cigarette ne lui procure que dégoût à présent.
Ecoutez Jeanne, sevrée du tabac en quelques semaines grâce à la e-cigarette : « Il y a un mois, j'ai voulu mettre une cigarette dans ma bouche. Mais je n'ai plus reconnu le goût. Je me suis aperçue à cet instant-là que j'étais plus heureuse en vapotant. »
Pour elle, la e-cigarette lui a aussi permis de se resocialiser. C'est la fin, comme elle le dit, des moments où elle partait s'isoler pour fumer sa cigarette. Pouvoir rester avec ses proches (à la fin des repas par exemple) et vapoter en même temps, lui procure une joie supplémentaire, confie-t-elle. « Surtout que le vapotage passif n'est quasiment pas nocif », ajoute-t-elle, en regardant le Pr Dautzenberg qui acquiesce.
Toutefois, elle avoue que gagner cette bataille a été plus facile en préservant la gestuelle du fumeur, "essentielle", selon elle. A présent, un seul objectif subsiste dans un coin de sa tête, celui de pouvoir un jour se libérer de toute dépendance. En arrêtant dans ses rêves, la clope puis la e-cigarette. « C'est le but ultime », souligne le Pr Dautzenberg. Tout en martelant : « Prenez votre temps, ne stressez pas. Vapotez sans pression lors des premiers mois. Et surtout, même si vous vous installez dans le vapotage, n'oubliez jamais une chose : le danger du tabac est mille fois plus grand que celui de la e-cigarette. » Un slogan qu'il répète d'ailleurs au patient suivant qui lui confie ne pas avoir testé le produit parce qu'il avait lu sur Facebook que la e-cigarette était dangereuse. Un brin malicieux le Pr de pneumologie lui glisse : « Où avez-vous vu ça Monsieur, sur la page Facebook de Philip Morris, British American Tobacco, Japan Tobacco. »
Ecoutez Jeanne : « Mon rapport aux autres a changé grâce à la e-cigarette. Aujourd'hui, je peux rester à table, c'est un plaisir. C'est aussi ça qui m'a motivé. »
« Je risque d'être amputée d'une artère, je dois arrêter. »
Par la suite, une autre patiente, Carmen, 54 ans, entre dans le cabinet du Pr Dautzenberg, très émue. Elle s'est vue diagnostiquée il y a à peine quinze jours une artérite. Son artère fémorale est en fait bouchée. Pour son cardiologue, elle doit arrêter le tabac immédiatement. « Ma copine m'a dit que la cigarette électronique était formidable. Et moi ce qui me fait le plus peur avec l'arrêt du tabac c'est la fin de la gestuelle. Pour cette raison, je pense que la e-cigarette pourrait me convenir. » C'est donc pour arriver à ce "0 cigarette" tout en conservant le plaisir qu'elle s'est précipitée dans la consultation du Pr Dautzenberg. Intéressée par une seule méthode de sevrage du tabac, le vapotage. Comme conseil, le pneumologue lui indique de prendre des liquides fortement dosés en nicotine. « Le 18mg/ml est l'idéal quand on commence le vapotage ». Après, le vapoteur baisse de lui-même. Preuve en est les vapoteurs français qui consomment pour la plupart du 10mg/ml.
Puis le médecin lui prodigue un dernier conseil. « Vapotez régulièrement, toutes les cinq minutes s'il le faut. Mieux vaut la perfusion continue. Surtout pas de flash comme le font les fumeurs avec une cigarette. » Ainsi, la e-cigarette utilise le même mécanisme de sevrage qu'un patch par exemple.
Avant qu'elle claque la porte, il ajoute : Ne vous inquiétez pas madame, bientôt, vous serez non-fumeuse. » Toujours le même credo pour chaque patient. « Le médecin doit être le premier convaincu », estime-t-il.
Ecoutez le Pr Bertrand Dautzenberg, président de l'Office Français de prévention du Tabagisme : « Quelqu'un qui vapote toute la journée du matin au soir à une courbe de nicotine dans le sang assez similaire à celle de quelqu'un qui a un patch. »
« Vapoter, ça coince vraiment. Ça me laisse la bouche sèche. »
Enfin, François, 33 ans, est le patient le plus jeune qui a rendez-vous ce jeudi matin dans le bâtiment Montyon de l'Hôpital de la Pitié Salpêtrière. Pourtant, malgré son jeune âge, l'homme présente déjà un lourd passif dû à plusieurs années de tabagisme. Après un lavage broncho-alvéolaire, les médecins lui ont diagnostiqué une inflammation du poumon. Plus précisément, une alvéolite du fumeur. « Ce patient présente un vrai tabagisme », explique d'entrée le Pr Bertrand Dautzenberg. « La mesure de l'intoxication de ses poumons par le monoxyde de carbone a été à une époque jugée préoccupante », ajoute-t-il. 35 parties par million (ppm), tel était son score lors d'un test respiratoire passé. Aujourd'hui, l'homme reconnaît qu'il fume encore entre 5-8 cigarettes. Est-ce le vapotage qui lui a permis de diminuer le tabac ? Pas du tout, car malgré une tentative, François n'a jamais adhéré à la e-cigarette. « Elle laisse la bouche trop sèche. Chez moi, ça coince complètement. Une bouffée et pas plus ! » La faute à des arômes de e-liquides qui n'étaient peut-être pas faits pour vous, rétorque aussitôt le médecin. Pour cette raison, il repart du cabinet du Pr Dautzenberg avec une prescription classique. Des nicopass, qui sont de pastilles à sucer apportant dans le sang, la nicotine, principale substance active du tabac, responsable de l'accoutumance.
Au final, le Pr Bertrand Dautzenberg fait comme premier constat que la e-cigarette n'est pas encore la solution miracle pour se sevrer du tabac. Il constate en effet que sur dix fumeurs qui vont tester la e-cigarette, seul un va connaître une révélation dès les premières bouffées de vapotage. Dans ce cas, le plaisir arrive dans les cinq premières secondes. Car pour le Pr Bertrand Dautzenberg, la cigarette électronique c'est ça : sortir du tabac avec le plaisir, et sans souffrance. Pourtant, face à ces 9 échecs sur 10, le pneumologue est persuadé que si les fumeurs s'y prenaient différemment, cette révélation pourrait se produire chez 4 voire 5 fumeurs sur 10. « Ils peuvent tous trouver leur bonheur, sur les 3 000 e-liquides existants, il y en a forcément un qui leur conviendra », tente-t-il de démontrer à chacun des patients qui se rendent dans sa consultation.
Ecoutez le Pr Bertrand Dautzenberg : « C'est une sortie du tabac par le côté plaisir, par le bien-être. Pour les gens déprimés ou qui ont des maladies psychiatriques ça permet de se sevrer du tabac en douceur. »