Une larme m’a sauvée. C’est le titre du livre (1) dans lequel Angèle Lieby raconte l’incroyable expérience qu’elle a traversée trois ans plus tôt. Pendant près de deux semaines, cette Alsacienne de 59 ans est restée inerte dans un état proche du coma profond mais parfaitement consciente et incapable de le manifester. Jusqu’à ce que face à la tristesse de sa fille, une larme perle à ses paupières et alerte proches et soignants sur son état de conscience.
Pour l’équipe de réanimation médicale de l’hôpital civil de Strasbourg qui a soigné Angèle Liéby, son livre apparait aujourd’hui comme une mise en accusation. Elle raconte avoir entendu des infirmières lâcher des « elle va bientôt clamser » et un médecin affirmer à son mari « il va falloir la débrancher. Plus rien ne fonctionne à part le cœur ». Michel Hasselmann, qui dirige ce service, ne nie pas que certaines « erreurs inacceptables » ont été commises. « Mais aujourd’hui on nous fait passer pour des goujats alors que nous avons posé en cinq jours le diagnostic d’une maladie extrêmement rare que nous n’avions jamais rencontrée et c’est ce qui a permis à Mme Lieby de s’en sortir. », tient-il à rappeler. Plus que l’opprobre jetée sur son service, ce qui préoccupe cet anesthésiste-réanimateur chevronné, c’est l’espoir que l’histoire d’Angèle pourrait redonner à tort à tous les proches de personnes plongées dans le coma profond.
Pr Michel Hasselmann, chef du service de réanimation médicale au CHU de Strasbourg : « on donne un espoir fou à ces familles, c’est cruel et inconsidéré »
Car le cas d’Angèle Lieby est exceptionnel, nous confirme Laurent Magy, neurologue spécialiste des neuropathies périphériques rares. Elle souffrait d’une maladie neurologique très rare, le syndrome de Bickerstaff qui peut survenir à la suite d’une infection banale de type otite ou angine. Dans les formes les plus prononcées comme celle d’Angèle, en quelques jours, tous les muscles sont paralysés jusqu’à ceux des paupières sans affecter l’état de conscience.
Dr Laurent Magy, neurologue au CHU de Clermont-Ferrand : « Même le réflexe cornéen qui nous sert à dire si le patient est vivant ou mort est aboli »
Face à un tel piège diagnostic qui empêche les médecins de faire la différence entre un patient conscient et un patient en coma profond, il existe peu d’outils médicaux. Avec l’électroencéphalogramme qui enregistre l’activité électrique du cerveau, on peut identifier les patients en coma dépassé. Le tracé est plat, c’est l’état de mort cérébrale qui permet les prélèvements pour le don d’organe. Mais la situation est plus complexe lorsqu’on enregistre une activité électrique dans le cerveau mais aucune réaction effective du patient, comme c’était le cas pour Agnès Lieby. La méthode des potentiels évoqués cognitifs permet de vérifier si le patient répond ou non à un stimulus auditif extérieur.
Dr Laurent Magy: « S’il y a une activité cérébrale, c’est que le patient a au moins conscience de ce qui se passe autour»
Toutefois cette méthode n’est pour le moment accessible que dans certains services de neurologie en France et n’offre aucune certitude absolue. D’autres pistes sont à l’étude, notamment en Belgique pour associer deux techniques d’imagerie, l’IRM fonctionnelle et le PET-scan et permettre de déceler des signes de conscience. Ces méthodes pourraient à terme bénéficier aussi aux victimes de traumatisme crânien ou d’accident vasculaire cérébral pour lesquels les médecins peinent à apprécier la profondeur de l’altération de la conscience.
(1) Editions les Arènes