En 1918 la pandémie de grippe, célèbre sous le nom de « grippe espagnole » a été l’épidémie de ce type la plus dévastatrice jamais enregistrée. Responsable d’environ 40 à 50 millions de décès à travers le monde, cette épidémie représente pour de nombreux infectiologues l’un des épisodes virologiques les plus noirs de l’histoire.
Alors que l’ensemble de la communauté scientifique espère que jamais plus un virus de ce type ne touchera l’espèce humaine, une équipe internationale vient peut être de jouer les apprentis sorciers. En effet, leur travaux qui viennent d’être publiés dans la revue Cell Host and Microbe montrent que les virus de la grippe aviaire contiennent tous les ingrédients génétiques nécessaires à l'émergence d'un virus semblable à celui responsable de la grippe de 1918. Une découverte qui suscite d’ores et déjà les foudres de certaines scientifiques. Ils jugent ces travaux extrêmement dangereux bien que réalisés dans un laboratoire P4, c’est à dire un labo avec le plus haut niveau de sécurité. « Il y a des réservoirs de gènes présents dans la nature qui ont le potentiel, en se recombinant, de causer une grave pandémie dans le futur», explique Yoshihiro Kawaoka, chercheur reconnu internationalement dans le domaine de la grippe et auteur principal de cette étude.
Un virus semblable à 3% près à celui de la grippe espagnole
Pour mener à bien leur travaux, ces chercheurs ont donc identifié 8 gènes d’un virus de grippe aviaire prélevé sur des canards sauvages qui possédaient des similitudes génétiques avec le virus responsable de la grippe espagnole. Pour évaluer le risque posé par un virus potentiel qui pourrait acquérir ces 8 gènes, l'équipe a ensuite utilisé des méthodes génétiques complexes pour générer un virus au final différent de celui de 1918 de seulement 3%. Résultat, ces recherches réalisées en laboratoire ont abouti à un virus plus virulent chez des souris et des furets qu'un virus ordinaire de la grippe aviaire, mais sans être pour autant aussi pathogène que celui de 1918. En revanche, fait rassurant, les auteurs notent que le nouvel agent pathogène est incapable de se transmettre entre les mammifères par voie aérienne, le mode le plus courant de transmission de la grippe.
Un nouveau virus sensible au vaccin actuel
Enfin, ces travaux ont également mis en lumière que ce virus réagirait au vaccin actuel contre la grippe saisonnière qui protège justement contre le virus H1N1. De plus, ce nouveau virus proche de celui de 1918 pourrait également être sensible à l'antiviral oseltamivir, utilisé actuellement dans l’arsenal thérapeutique pour combattre la grippe.
Une découverte controversée et risquée selon certains
Dans une interview au journal The Guardian, Lord May, ancien président de l’institut des sciences de la Royal Society, a déclaré que ce n’est « pas tellement la dangerosité d’un tel virus qui serait le véritable danger, mais bien les laboratoires arrogants et des chercheurs ambitieux ». L’équipe mise en cause répond à ces critiques en précisant que des règles de sécurité drastiques ont été mises en place et respectées scrupuleusement pour mener à bien cette découverte et manipuler ce nouveau virus. Et à Yoshihiro Kawaoka, le principal auteur de cette étude de conclure : « Savoir quels gènes rechercher dans un virus peut aider à prédire la probabilité de l'émergence d'une souche de la grippe capable de provoquer une pandémie, et permettre ainsi aux scientifiques d'élaborer des stratégies plus efficaces pour la combattre ».