Le baclofène est désormais remboursé dans le cadre du traitement de la dépendance à l’alcool. La France est le premier pays à reconnaître comme traitement contre l'alcoolisme ce décontractant musculaire. Mais pour aboutir à cette sortie de l’ombre, le baclofène est passé par de nombreuses étapes.
Le Pr Ameisen découvre l’indication contre l’alcoolisme
Ce médicament a été rendu célèbre par le Pr Olivier Ameisen, décédé en juillet 2013, qui a consacré une partie de sa vie à combattre l'alcoolisme. Le cardiologue, frère du président du Comité consultatif national d'éthique Jean-Claude Ameisen, a été alcoolique. Lorsqu’il a essayé de se soigner, il a été dans un premier temps réfractaire à tous les traitements disponibles. Puis, il a eu l’intuition selon laquelle cette maladie pourrait avoir une base neuro-biologique. Il a alors décidé de s’administrer de très fortes doses de baclofène (270mg/jour), utilisé pour soulager les spasmes musculaires. Avec ce dosage, le médecin n’avait plus de compulsions irrépressibles le poussant à boire et il pouvait sans difficulté s’accorder quelques verres occasionnellement sans replonger dans la dépendance. Sa découverte a par la suite été publiée par la revue Alcohol and Alcoholism, puis dans les célèbres revues JAMA et Lancet.
Le succès auprès du grand public
Il publie un livre intitulé « Le dernier verre » en 2008, qui révèle le baclofène au grand public. Le cardiologue y raconte en détails sa guérison. Résultat, en seulement quelques semaines, les alcoologues seront débordés d’appels, des forums seront créés sur internet, les proches ou les malades eux-mêmes voulant savoir comment se faire prescrire ce comprimé aux résultats apparemment miraculeux. Car à l’époque, le baclofène ne dispose que d’une autorisation de mise sur le marché en tant que décontractant musculaire. Quelques rares prescripteurs, addictologues ou médecins généralistes que les malades font des kilomètres pour consulter, ont alors commencé à prescrire le médicament hors AMM et à convaincre leurs confrères, qui restent encore réticents dans leur grande majorité.
Un début de presccription au cas par cas
En avril 2012, premier virage de l'ANSM. Toutjours pas d'AMM mais l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé considère que les bénéfices cliniques de ce traitement contre l’alcoolodépendance sont bien réels. Les médecins vont pouvoir le prescrire "au cas par cas" dans le cadre du traitement alcoolique alors qu'il était délivré, jusqu'à présent, conmme décontractant musculaire.
Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il s’agit d’un revirement de position. En juin 2011, l’Afssaps mettait en garde les médecins quant à l’utilisation du baclofène. Dix mois plus tard, elle estime que de nouvelles études modifient la donne. C’est une étude française qui a fait basculer l’Afssaps. Les résultats obtenus auprès des 181 buveurs à haut risque étaient sans appel. Grâce au Baclofene, 60% des patients étaient devenus indifférents à l'alcool et maîtrisaient totalement leur consommation, 20% avaient une consommation à faible risque et chez les 20 % restants, le baclofène ne produisait aucun effet. Aucun traitement contre la dépendance à l’alcool ne peut en dire autant.
La mobilisation des médecins
Un an plus tard, en avril 2013, les médecins se mobilisent. A l’initiative de plusieurs professeurs, pour certains membres de l’Académie de médecine ou de l’Académie de pharmacie, et avec en tête l’ancien président du comité d’éthique, le Pr Didier Sicard, ces spécialistes lancent une pétition. Ils souhaitent accéléerer le cours de l'histoire et« mettre un terme aussi rapidement que possible à ce retard aux conséquences graves pour les malades qui seraient sensible au baclofène ». En clair, les médecins souhaitent une AMM pour sortir de l'illégalité quand ils prescrivent ce médicament
La délivrance d’une recommandation temporaire d’utilisation
Tous ces combats ont finalement porté leurs fruits. Selon l’Assurance Maladie, entre 2008 et 2013, plus de 50 000 patients avaient eu recours au baclofène et 7 000 médecins l’avaient prescrit malgré l’absence de véritable cadre légal. « Une innovation telle que le baclofène ne peut être ignorée », avait assuré le Pr Dominique Maraninchi, directeur général de l’Agence du médicament. Au mois de juin 2013, il avait annoncé la prochaine délivrance d'une recommandation temporaire d’utilisation (RTU), valable trois ans et permettant aux médecins de prescrire le baclofène pour traiter l'alcoolisme. Ladite RTU a été délivrée à la mi-mars 2014. Dans son avis, l’Agence sanitaire avait précisé les conditions dans lesquelles il pourra être utilisé dans le traitement de l’alcoolisme : les médecins avaient l’autorisation de le prescrire dans « l’aide au maintien de l’abstinence après sevrage chez les patients dépendants à l’alcool et en échec des autres traitements. La 2ème indication était la « réduction majeure de la consommation d’alcool jusqu’à un niveau faible de consommation (…) chez des patients alcoolo-dépendants à haut risque et en échec des traitements disponibles. Il ne manquait alors plus que l’ultime étape de reconnaissance du médicament dans cette indication : son remboursement. C'est désormais chose faite.