Comment alerter sans faire peur ? Les spécialistes de la gestion du risque n’ont pas encore trouvé la solution. En matière de médicament, l’alerte peut rapidement prendre des proportions contre-productives. Et celà n'arrive pas qu'aux autorités sanitaires françaises, souvent décriées en la matière. Les autorités américaines ont elles aussi des ratés de communication. C’est ce que relate une étude publiée jeudi dans le British Medical Journal. En 2003, l’Agence américaine de sécurité des médicaments, la FDA, a alerté sur le risque suicidaire de certains antidépresseurs chez les enfants et adolescents. Les notices de ces traitements ont été modifiées pour mentionner ce risque et le lien entre antidépresseurs et suicide a été extrêmement médiatisé.
Recrudescence de tentatives de suicides chez les jeunes
Conséquence attendue, les prescriptions d’antidépresseurs chez les jeunes ont fortement diminué, -31% en un an chez les adolescents, -24% chez les jeunes adultes et -14% chez les adultes. Mais autre conséquence inattendue, durant la 2e année suivant la médiatisation de l’alerte de pharmacovigilance, la baisse des prescriptions a provoqué une forte hausse des tentatives de suicide par ingestion de médicaments psychotropes chez les ados (+22%) et chez les jeunes adultes (+34%).
Ecoutez le Pr Antoine Pelissolo, psychiatre à l’hôpital Henri Mondor à Créteil (94) : « Les médecins ont voulu être particulièrement prudents chez les jeunes pour qui le risque d’idées suicidaires lié aux antidépresseurs est le plus important, mais ils ont été trop prudents visiblement. »
Des médias alarmistes
Pour les auteurs, la responsabilité médiatique est importante puisqu’ils se sont concentrés sur un risque relativement faible au vu du bénéfice de ces médicaments qui sauvent quotidiennement des vies. « Le risque d’idées suicidaires cité par la FDA ne concernait qu’environ 1% des patients traités mais la consommation d’antidépresseurs a brutalement chuté de 20%, laissant non-intentionnellement de nombreux jeunes dépressifs sans traitement approprié, ce qui a logiquement conduit à des admissions aux urgences et des hospitalisations pour tentatives de suicide », souligne l’un des auteurs, le Pr Stephen Soumerai de l’Université d’Harvard.
Ecoutez le Pr Antoine Pelissolo, psychiatre à l’hôpital Henri Mondor à Créteil (94) : « Tirer radicalement le signal d’alarme peut être perçu de façon exagérée par tout le monde, les médecins comme les malades. Les choses vont trop loin et l’alerte a des effets contre-productifs dangereux. »
Alors que les médecins s’alarment souvent de la façon dont les alertes de pharmacovigilance seront perçues par leurs patients et des risques qu’ils interrompent leur traitement, il apparaît que la médiatisation de ces alertes influence les prescripteurs eux-mêmes. « Les agences sanitaires, les médias et les médecins doivent trouver de meilleures façons de travailler ensemble pour s’assurer que les patients prennent les médicaments dont ils ont besoin, tout en les protégeant de risques potentiels. Nous devons beaucoup mieux communiquer sur les risques qu’il y a à prendre et à ne pas prendre un médicament », insiste le Dr Christine Lu, co-auteur de l’étude.
Ecoutez le Pr Antoine Pelissolo, psychiatre à l’hôpital Henri Mondor à Créteil (94) : « C’est tout de même une bonne nouvelle de voir que les messages de prévention portent, il faut juste faire attention à la façon dont on les fait passer ! »