Les Brésiliens n'ont pas craqué ! Vendredi soir, les joueurs de la Seleção se sont en effet imposés 2 buts à 1 face à la Colombie en quart de finale de la Coupe du monde 2014 qui se déroule chez eux. Fini les larmes et les scènes d'angoisse, les joueurs au maillot auriverde ont montré une image plus conquérante que lors des précédentes rencontres. Dès lors, une question se pose : ce moral retrouvé explique-t-il les raisons de ce succès sur la pelouse de l'Estádio Castelão de Fortaleza ?
Peut-être, car aujourd'hui, pour les sportifs de haut niveau, se préparer mentalement pour être au top sur la plan psychique est aussi important que la préparation physique. « On voit que le Brésil vient de faire appel à une psychologue qui a intégré le staff médical », confie le Dr Jean-Christophe Seznec (1), psychiatre et médecin du sport à Paris (Ie), contacté par pourquoidocteur.
Sa mission : pallier les défaillances émotionnelles que l'on a pu voir chez certains joueurs de la Canarinha, et leur redonner confiance.
« A ce niveau-là, les sportifs ne s'appartiennent plus. Ils appartiennent tous à l'entraîneur, au public, et au pays. Pour un sportif c'est dur d'exister face à cette demande, et à l'emprise de l'environnement politique et public qu'il y a auteur d'eux », souligne le Dr Seznec.
Une donnée que les entraîneurs de foot ont bien intégré, eux qui confiaient récemment dans une étude britannique que les qualités psychiques comptent autant que les compétences physiques pour atteindre les sommets.
Le cerveau et ses émotions : « un muscle comme les autres qu'il faut préparer »
Par ailleurs, ce spécialiste en psychopathologie du sport explique que la préparation mentale des sportifs de haut niveau est d'autant plus importante que « beaucoup d'entre eux sont des gamins. Pour certains, en équipe de France, ils ont 21 ans. Neymar, le star brésilienne, vient de fêter ses 22 ans. De plus, le sport professionnel rend extrêmement immature. Ces athlètes sont devenus des stars multimillionnaires avec toutes les tentations qui vont avec. Mais lors d'une compétition de cette importance ils ont des responsabilités énormes avec, de surcroît, toutes les caméras braquées sur eux. Ce sont les attentes de tout un pays. »
Face à tant d'enjeu, mieux vaut bien se préparer mentalement. Un athlète mal préparé peut passer à côté de sa compétition.
En effet, les psychiatres du sport répètent inlassablement aux sportifs qu'ils suivent que l'être humain est fait de trois composantes : un corps, une machine à fabriquer des pensées, et une machine à fabriquer des émotions.
« Si personne ne les aide à professionnaliser leur rapport à leurs pensées et aux émotions, ils peuvent déjouer. Les qualités d'un être humain c'est comme de la dynamite. Bien utiliser c'est génial, mal utiliser ça peut faire des dégats. Donc ça se travaille. Le cerveau et nos émotions sont des muscles comme les autres qu'il faut entraîner », explique ainsi Jean-Christophe Seznec.
Ecoutez le Dr Jean-Christophe Seznec, psychiatre et médecin du sport à Paris : « C'est un déplacement des guerres d'autrefois. Si votre équipe gagne, vous êtes glorifiés. Si vous perdez, vous êtes marqués à vie. Regardez encore aujourd'hui l'équipe de France de 82. »
La préparation mentale : un travail sur le long cours
Et cette préparation mentale se doit d'être sérieuse. « C'est un travail au long cours », confie, de son côté, Jonathan Rougier, psychologue et préparateur mental de sportifs au CHU de Clermont-Ferrand (63). Par exemple, « intégrer une psychologue en plein coeur d'une épreuve, ça ressemble un peu à de l'amateurisme et ça peut même perturber un collectif. »
Ce spécialiste de la psychologie du sportif précise que ce travail doit normalement débuter un an avant l'épreuve. Avec des outils qui commencent à montrer leur efficacité au bout de six mois minimum. De plus, il précise qu'il y a aussi un travail essentiel à faire sur l'organisation de l'équipe. En faisant également une préparation mentale auprès de l'entraîneur, les encadrants et pas que sur l'athlète.
Un point de vue que rejoint le psychiatre Jean-Christophe Seznec qui souligne cependant que ce travail est plus difficile à mettre en place lors d'une Coupe du monde de football. « Il y a quelques semaines à peine, on ne savait pas encore exactement qui allait être sélectionné dans l'équipe de france de football », rappelle-t-il.
Mais lorsque la préparation mentale démarre, « on leur apprend à se baser sur les moyens d'y arriver et non pas le résultat. Et aussi sur leurs propres valeurs. Le but : ne pas se laisser distraire par toutes les pensées toxiques que peut générer la pression », rajoute-t-il.
Ce spécialiste a expliqué au micro de pourquoidocteur que beaucoup de préparateurs mentaux utilisent par exemple la technique de l'approche centrée sur la Personne (ACP). Mise au point par le psychologue américain Carl Rogers, cette thérapie verbale repose sur le postulat que chacun détient en soi les clefs de son bien-être. Et que le travail intérieur peut déboucher sur la libération de son potentiel.
Ecoutez Jonathan Rougier, psychologue au CHU de Clermont : « Il faut 1 an pour se familiariser avec les outils. Par exemple, le sportif "pro" doit apprendre, grâce à la concentration, à coordonner plusieurs informations pertinentes entre elles. »
Des thérapies différentes selon le sport et l'athlète
Enfin, tous ces professionnels de la préparation mentale des sportifs de haut niveau insistent bien sur le fait qu'il y a autant de manières de préparer les athlètes qu'il y a de sportifs. Avec des individus qui ont des problèmatiques très différentes les unes des autres.
Ainsi, certains auront besoin d'être calme avant un match ou un combat, alors que d'autres auront besoin de beaucoup d'intensité avant l'épreuve sportive. Le pire, selon Jonathan Rougier, c'est de vouloir coller ce qui a marché sur soi ou chez un athlète à tous les autres sportifs. « Souvent, le sportif réussit lorsqu'il s'est approprié son propre système de préparation mentale », affirme-t-il.
Dans les sports collectifs par exemple, les préparateurs mentaux travaillent beaucoup plus sur l'identité collective. Le fait que le sportif soit conscient de cette identité collective lui apporte beaucoup de ressources.
A l'inverse, dans les sports individuels, les sportifs qui brillent sont souvent ceux qui sont persuadés qu'en travaillant beaucoup ils réussiront. Ceux qui font des carrières courtes avec des succès éphémères sont en général ceux qui avaient peu confiance en eux, précise ce spécialiste.
La pyramide des pouvoirs dans le cyclisme
Enfin, cette préparation mentale est intégrée désormais dans tous les sports de haut niveau. Elle se fait aussi chez les cyclistes du Tour de France 2014 qui débute ce samedi à Leeds (Angleterre). Un travail important pour ces sportifs qui sont parfois confrontés à un bouleversement de la "pyramide des pouvoirs" au sein de leur équipe.
« Le vélo est un sport particulier où le manager de l'équipe peut se voir démuni du pouvoir au profit du leader. Ce dernier prend parfois une telle influence sur ses coéquipiers qu'il peut même décider d'exclure son manager s'il en est mécontent. Et en cela, il sera souvent suivi par les autres cyclistes », explique le Dr Jean-Christophe Seznec.
Ce fonctionnement peut avoir du positif, en retirant bien évidemment un peu de pression sur les épaules des autres cyclistes de l'équipe. Mais bien souvent, c'est l'effet pervers qui ressort. Il peut se caractériser par une implosion de la part du leader qui peut craquer à cause d'un trop-plein de pression. Preuve en est que même les sportifs les plus forts sur le plan psychologique doivent être aidés mentalement.
« Il faut surveiller ça de très près et lorsqu'il y a dérive, réorganiser la hiérarchie des pouvoirs au sein de l'équipe. En créant un esprit de cohésion où tout le monde reste à sa place. C'est comme ça qu'on y arrive », affirme le Dr Jean-Christophe Seznec.
(1) Auteur du livre "J'arrête de lutter avec mon corps", aux éditions puf