Cet été, l'alerte sera au maximum dans les Antilles françaises ! En effet, depuis le mois de décembre 2013, une épidémie de chikungunya sévit dans ces départements d'outre-Mer (Guadeloupe, Saint-Martin, Saint-Barthélémy, et Martinique). Résultat, à ce jour, la maladie a déjà touché là-bas près de 100 000 personnes, donné lieu à 1 000 hospitalisations et provoqué indirectement 33 décès, notamment chez les personnes fragiles (personnes âgées). Et en métropole l'inquiétude monte également, en même temps que le nombre de cas importés depuis les Antilles. Selon les Agences régionales de santé (ARS), depuis le 1er mai, 137 cas importés de chikungunya ont été confirmés dans les 18 départements métropolitains où le moustique Aedes albopictus est implanté. L'occasion pour le Pr Antoine Flahault, spécialiste des épidémies, de faire le point avec pourquoidocteur sur ce virus. Selon ce professeur de santé publique, des foyers épidémiques, moins importants qu'aux Antilles, vont sans doute émerger dans le sud de la métropole.
Qu'est-ce qu'y vous fait penser qu'une épidémie peut arriver en métropole ?
Pr Antoine Flahault : Dans le sud de la France, il serait tout à fait possible qu'en plein été il puisse y avoir un foyer épidémique de chikungunya qui se déclare un jour. Ce n'est pas quelques chose d'impossible. Car en métropole, le moustique est présent, voir très très présent comme dans la région PACA ou en Corse. Il est même en train de remonter, et on en aura très certainement à Paris bientôt. Pendant la période de vacances où les gens sont beaucoup dehors il peut donc y avoir une épidémie. Ce facteur, plus le fait que beaucoup de voyageurs reviennent infectés des Antilles, accroît la menace d'une épidémie en métropole.
En quoi les cas importés des Antilles constituent une menace de plus ?
Pr Antoine Flahault : Ils font craindre l'apparition d'un cas autochtone en métropole. Car le moustique Aedes est un vecteur compétent capable de transmettre le virus. C'est-à-dire de piquer une personne infectée et de s'infecter ensuite lui-même. Puis il va reproduire le virus à l'intérieur de son propre organisme pour réinfecter de nouvelles personnes à l'occasion d'une nouvelle piqûre. On sait que c'est la femelle qui pique et qu'elle a besoin d'un petit supplément de protéine pour pondre ses oeufs. En général, elles piquent un vertébré, et pour l'Aedes c'est l'homme.
Peut-on avoir 10% de la population métropolitaine touchée comme aux Antilles ?
Pr Antoine Flahault : Non, je ne pense pas. Car en métropole la période chaude dure moins longtemps qu'aux Antilles. Dans ces îles, il n'y a pas vraiment d'hiver. La preuve, même en plein coeur de la saison hivernale il y a des moustiques qui continuent à proliférer dans ces départements d'outre-mer. Ce qui n'est pas du tout le cas en métropole. Donc dans une zone tempérée, comme l'est la métropole, les conditions sont moins réunies pour une épidémie. Sauf qu'en 1920, en Grèce, il y a eu une épidémie de dengue avec plus d'un million de personnes atteintes. Donc quelque part, même si ça reste peu probable, on peut se dire que ce scénario n'est pas impossible.
Est-ce que les mesures de prévention du gouvernement vous semblent satisfaisantes ? Par exemple que pensez-vous du scanner thermique dans les aéroports ?
Pr Antoine Flahault : Il y a en effet lieu d'être vigilant et de réagir, mais il est toujours difficile d'enrayer une épidémie lorsqu'elle a démarré. Pour éviter qu'elle se propage en Amérique ou en Europe, le scanner thermique dans les aéroports peut être considéré comme un filet, mais dont les mailles restent assez larges. Ainsi, par exemple, les personnes infectées (donc contagieuses) mais en période d'incubation au moment du passage sous le scanner thermal ne seront pas détectées. Car dans ce cas, elles n'auraient pas encore de fièvre. Il y a aussi des patients asymptomatiques, c'est à dire, qui n'ont pas de signes de la maladie (on ne connaît pas encore la proportion d'asymptomatiques avec cette souche d'origine asiatique du virus du chikungunya, différente de la souche d'origine est-africaine qui avait sévi à La Réunion en 2005-06). Enfin, certaines personnes peuvent tenter par eux-même de passer entre les mailles du filet qu'on leur tend à l'arrivée sur le tarmac, par exemple, en prenant des antalgiques ou surtout des antipyrétiques pour que la fièvre baisse suffisamment. Le paracétamol marche très bien pour cela. On soigne d'ailleurs les malades avec. Et du coup ils ne seront pas très fébriles au moment du passage sous le portique.
Une bonne partie des réponses au problème passe donc, comme souvent, par la prévention. Car aujourd'hui encore trop de gens aux Antilles ou dans les départements de la métropole touchés continuent à entretenir des gîtes larvaires dans leurs jardins ou sur leurs balcons, sans le savoir : ils laissent par exemple des coupelles sous les pots de fleurs et permettent ainsi aux moustiques de s'établir dans leurs jardins. Ce moustique est exophile, cela signifie qu'il pique essentiellement à l'extérieur des habitations. Les vacanciers peuvent cependant être en partie rassurés car il n'aime pas piquer en plein soleil, ni dans les zones très ventilées donc pas sur le plage. L'Aedes préfère l'ombre et les périodes les plus fraîches de la journée (il ne pique pas ou peu la nuit non plus).
Pour conclure, j'aimerais rappeler que l'une des mesures les plus efficaces reste les répulsifs que les gens devraient tous se mettre sur la peau plusieurs fois par jour dans les zones fortement touchées par l'épidémie. Sans oublier les gens atteints par le chikungunya qui devraient aussi continuer à mettre des répulsifs pour ne pas que les moustiques soient contaminés en les piquant, et donc pour protéger leurs proches. Les vêtements amples et les manches longues sont aussi recommandés, notamment à la fraîche, quoique parfois difficiles à porter sous les tropiques.