Tremblements, contractions musculaires incontrôlées, vomissements, convulsions, détresse respiratoire… Tous ces signes traduisent l’état de manque chez un toxicomane privé de sa drogue. Mais ce syndrome de sevrage peut aussi survenir chez le nouveau-né. Lorsque sa mère a consommé des substances psychoactives au cours de la grossesse, qu’il s’agisse de drogues ou de certains médicaments dérivés de la morphine, l’accouchement correspond pour le nouveau-né à un sevrage brutal. Selon une étude publiée dans le prestigieux Journal of the American Medical Association, le nombre d’enfants victimes de ce syndrome de sevrage néonatal est passé de 1 pour 1000 naissances en 2000 à 1 pour 300 naissances en 2009. En cause selon les auteurs, la multiplication par 5 au cours de la même période du nombre de femmes enceintes consommant des opiacés, autrement dit de l’héroïne ou de fortes doses de médicaments antidouleurs contenant de la morphine, de la codéïne ou du tramadol.
En France, le phénomène est difficilement chiffrable. L’Office français des drogues et toxicomanies estime que 230 000 personnes, hommes et femmes confondus, ont consommé de l’héroïne au cours de l’année 2011. Et on ne dispose d’aucune donnée précise concernant l’abus de médicaments contre la douleur. Les ordonnances sécurisées sur lesquelles sont prescrits ce genre de médicaments sont sensées limiter les falsifications et les renouvellements abusifs. Elles expliquent probablement pourquoi la dépendance aux opiacés semble moins répandue dans l’Hexagone qu’aux Etats-Unis.
Mais le phénomène existe tout de même et les maternités françaises doivent prendre en charge ces femmes et leurs grossesses à risque. La première difficulté est de repérer ces femmes.
Dr Fanny Molière, psychiatre aux urgences psychiatriques du CHU de Montpellier : « L’abus de médicaments est encore plus difficile à déceler que l’usage d’héroïne »
Un tiers de ces femmes n’ont jamais évoqué leur addiction avec un professionnel de santé. Le sujet est encore plus culpabilisant et difficile à confier une fois qu’elles sont enceintes. C’est la sage-femme, plus encore que le médecin traitant, qui va pouvoir nouer avec elles une relation centrée sur le bébé et parvenir à détecter un usage addictif.
Dr Fanny Molière, psychiatre aux Urgences psychiatriques du CHU de Montpellier : « La sage-femme est l’intervenant de choix pour le dépistage de ces abus »
Encore faut-il que les sages-femmes soient sensibilisées à la question de la toxicomanie. C’est l’une des missions du réseau alsacien Maternité & Addictions. « C’est un vrai changement de mentalité, explique Maïca Reichert, sage-femme et coordinatrice du réseau. A partir du moment où on est formé, l’entretien du 4e mois de grossesse est vraiment un moment propice pour repérer une consommation d’opiacés ». A l’échelle du Bas-Rhin, une soixantaine de femmes enceintes dépendantes aux opiacés sont prises en charge chaque année par le réseau qui regroupe sages-femmes, gynécologues, généralistes, psychiatres, pédiatres et assistantes sociales. Il existe peu de structures semblables en France, hormis une unité hospitalière pionnière au CHU de Montpellier. Les rares spécialistes sont donc sollicités partout dans l'hexagone, notamment pour intervenir au cours de formations pour les professionnels de la naissance.
Qu’il s’agisse de consommation d’héroïne ou d’abus de médicaments antalgiques, la technique est la même. Il faut proposer à la mère un médicament de substitution, de la buprénorphine ou de la méthadone, jusqu’à la fin de sa grossesse mais surtout pas un sevrage.
Maïca Reichert, sage-femme et coordinatrice du réseau Maternité & Addictions : « Le manque provoque des contractions et l’accouchement prématuré »
Au moment de la naissance, il est indispensable de ne pas séparer le nouveau-né de sa mère. Chez le nouveau-né, cela accentuerait l’intensité et la durée des symptômes du manque et chez sa mère, on risque de renforcer son angoisse et son sentiment de culpabilité. Le réseau alsacien préconise donc le recours aux unités kangourou car l’essentiel du traitement du syndrome de sevrage néonatal passe par le portage et la réassurance de l’enfant par sa mère.
Maïca Reichert, sage-femme et coordinatrice du réseau Maternité & Addictions : « On évite ainsi d’avoir recours au traitement médicamenteux du nouveau-né »
Parce qu’elle est mieux anticipée, la méthode préconisée par le réseau alsacien présente un autre atout majeur : la durée d’hospitalisation du nourrisson et de sa mère est réduite à 8 jours en moyenne. Soit a moitié moins de celle observée par les auteurs de l’étude américaine. Ils estiment à 720 millions de dollars le coût hospitalier annuel des syndromes de sevrage néonataux aux Etats-Unis. Un argument que ne manquera pas de faire valoir le réseau alsacien auprès de l’Agence régionale de santé pour pérenniser cette mission.