Les douze experts en éthique médicale réunis lundi par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) se sont dits mardi favorable à l'usage de médicaments encore jamais testés sur l'homme pour tenter d'endiguer l'épidémie de virus Ebola qui sévit actuellement en Afrique de l'Ouest (1013 décés recensés depuis mars 2014). « Devant les circonstances de l'épidémie et sous réserve que certaines conditions soient remplies, le comité a abouti au consensus estimant qu'il est éthique d'offrir des traitements non homologués dont l'efficacité n'est pas encore connue ainsi que les effets secondaires, comme traitement potentiel ou à titre préventif », expliquait ainsi l'Organisation dans un communiqué publié mardi.
Du côté de Médecins Sans Frontières (MSF) on salue cette décision. Interrogée par la rédaction de pourquoidocteur, le Dr Brigitte Vasset, directrice adjointe du département médical de MSF, confie en effet que « c'est bien que l'OMS ait permis de les utiliser dans un cadre bien défini. Ca va permettre que la recherche avance plus vite », rajoute-t-elle. Elle rappelle que MSF est favorable a tout traitement non homolgué « à partir du moment où les effets bénéfiques sont plus importants que les effets délétères. Pour cette raison, il faudra bien surveiller les patients à qui l'on délivrera ces médicaments », souligne-t-elle. Mais, quels produits vont être prochainement administrés aux malades atteints par le virus Ebola ? Contacté par la rédaction de pourquoidocteur, le Dr Eric Leroy, Directeur de Recherche à l’IRD (1), au sein de l’unité mixte de recherche "Maladies infectieuses et vecteurs : écologie, génétique, évolution et contrôle", fait l'état des lieux des différentes pistes médicales.
Quelle est l'efficacité potentielle du sérum ZMapp qui a été envoyé au Libéria ?
Dr Eric Leroy : Du côté des traitements dits "curatifs", les chercheurs ont déjà mis au point le sérum « ZMapp ». C'est un cocktail de trois anticorps monoclonaux qui sont dérivés d'un seul clone, et spécifiquement dirigés contre certaines protéines du virus Ebola. Ce cocktail s'est montré efficace dans deux séries d'expérimentation. D'abord à 100 % efficace lorsqu"il est injecté une heure après l'infection. Mais dans le cadre d'une épidémie c'est très très compliqué de mettre en pratique cela. Car dans cette maladie, la période d'incabution est de plusieurs jours, on ne peut donc pas savoir à 1h près à quel moment la personne a été infectée.
Ensuite, l'équipe de chercheurs allemande en charge des tests a fait une 2ème série d'expérimentation où ils ont injecté une nouvelle fois ce sérum à des macaques dans des conditions différentes. Cette fois-ci jusqu'à deux jours après l'infection. Résultat, ils ont eu quatre primates sur six qui ont survécu, donc 60 % de réussite.
En désespoir de cause et faute d'autre chose, ces chiffres ont convaincu l'OMS d'autoriser l'utilisation de traitements non homologués. Une autorisation encadrée toutefois car pour ce sérum, comme pour les autres traitements, il devra y avoir une demande des autorités politiques du pays touché, un consentement écrit de la personne qui va recevoir ce produit, et tous les tests devront être encadrés afin de recueillir un maximum d'informations sur les éventuels effets secondaires du traitement.
Comment fonctionne le TKM-Ebola, un autre traitement expérimental ?
Dr Eric Leroy : Le TKM-Ebola, de la société canadienne Tekmira, utilise la technique de « l'interférence par ARN ». Elle vise à rendre « silencieux » des gènes cibles en bloquant la production de protéines spécifiques. Un premier essai clinique chez des volontaires sains avait été stoppé en juillet par la FDA à cause d'effets secondaires, mais l'Agence américaine du médicament s'est ravisée devant l'urgence à trouver un traitement pour les populations vivant en Afrique de l'Ouest.
A ce titre, j'aimerais préciser que ce produit a été injecté à des volontaires juste pour savoir s'il avait des effets secondaires à l'administration. Il n'a jamais été administré à un volontaire infecté par le virus. On en est juste au stade de la notification des effets secondaires à l'administration de ce traitement.
On évoque aussi la piste du favipiravir, un traitement contre la grippe ?
Dr Eric Leroy : Comme les autres, c'est une piste intéressante. Le Favipiravir (T-705) de Toyama Chemical est un antiviral actif déjà connu pour combattre la grippe. Il agit contre une enzyme spécifique qui permet au virus Ebola de se multiplier. Mais avec ce produit là, on est très loin d'une homologation officielle et d'une efficacité comme il l'a déjà démontré pour la grippe ou pour d'autres virus.
Ce produit n'a même pas été testé chez le primate. Le seul test a été fait in vitro (sur des lignées cellulaires) et chez un modèle souris qu'on avait préalablement rendu déficientes en récepteur à interféron. Bref des souris "spéciales". Mais dans ces tests, les chercheurs ont noté une "efficacité". On est cependant encore très loin d'une expérimentation chez l'homme.
Enfin, êtes-vous confiant concernant les essais vaccinaux ?
Dr Eric Leroy : Le vaccin le plus prometteur est celui développé par un laboratoire américain qui utilise un recombinant. En fait c'est le virus animal de la stomatite vésiculeuse qui sert de vecteur. A l'intérieur, on a fait s'exprimer des protéines du virus Ebola. Ce n'est pas du tout un vaccin classique de virus inactivé ou tué. Mais c'est un autre virus à l'intérieur duquel on a incorporé les fragments du génome du virus Ebola qui expriment une protéine, celle dite "de surface". Et là les expérimentations menées "in vitro" ou chez le macaques se sont révélées très très encourageantes.
Mais ce traitement n'est pas utilisable en période d'épidémie car les vaccins ont plus une visée préventive que thérapeutique.
Par contre, ce candidat-vaccin pourrait être très utile pour la vaccination des populations à risque. Je pense notamment à une large partie de la population forestière d'Afrique.