Dans une interview donnée à Libération ce mardi, le Pr Peter Piot, co-découvreur du virus Ebola en 1976, a estimé que tout était réuni pour que l'épidémie d'Ebola qui sévit en Afrique de l'Ouest « s'emballe ». Il a en plus regretté « la lenteur extraordinaire » de la riposte de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Conséquence, l'épidémie de fièvre hémorragique semble ne pas faiblir. Elle a ainsi déjà fait près de 1 500 morts. Et les prévisions d'autres experts ne sont pas plus optimistes.
Contacté par la rédaction de pourquoidocteur le Dr Dieudonné Nkoghe, chercheur au sein de l'Unité des maladies virales émergentes du CIRMF (1), confirme également que « l'épidémie actuelle d'Ebola est une catastrophe mondiale. On ne pouvait pas s'attendre à un schéma pire que ce qui se passe aujourd'hui en Afrique de l'Ouest. » Pire encore, ce spécaliste des maladies infectieuses nous explique pourquoi le continent africain est une véritable « poudrière ».
Pensez-vous que l'épidémie d'Ebola va encore s'emballer en Afrique ?
Dr Dieudonné Nkoghe : Je crois que maintenant nous sommes au coeur de l'épidémie. Même s'il n'est pas exclu que nous ne retrouvions bientôt avec une multitude de foyers dans d'autres zones jusqu'à présent épargnées. En fait, c'est comme si l'Afrique recevait des obus d'un peu partout alors que son armée est au front pour attaquer seulement un axe. Concrètement, cela signifie que le foyer épidémique n'est pas cantonné à un seul endroit. Et ces nouveaux foyers compliquent encore la tâche. Par exemple, on voit que le Nigéria et la République démocratique du Congo (RDC) viennent d'être touchés.
En définitive, je pense que toute l'Afrique en zone forestière est une poudrière. Je crois qu'il faut considérer le problème à plus large échelle.
Comment peut-on éviter ce scénario catastrophe ?
Dr Dieudonné Nkoghe : En pratique, on devrait prendre la situation quasiment à l'échelle du continent. En gros, toute la zone d'Afrique en dessous du Sahara couverte par la forêt équatoriale doit être en situation de crise aigüe. Les pays qui ne sont pas encore touchés devraient déjà mettre en route leur plan de riposte rapide. Pour permettre que le moindre cas détecté soit tout de suite pris en charge et éviter que la diffusion ne se produise. Hélas, comme cela se produit souvent, l'argent est le nerf de la guerre. Et pour le moment, les moyens n'arrivent pas à point nommé.
La réaction actuelle des pays africains qui consiste à fermer leur frontière est complètement abstraite. Comment fermer les frontières lorsqu'on est face à une maladie dont on ne sait même pas comment elle circule ? C'est totalement inefficace. Les pays de cette zone feraient mieux de se concerter pour aboutir à une collaboration.
L'Afrique centrale (RDC) est à présent touchée, cela change-t-il la donne ?
Dr Dieudonné Nkoghe : Le fait qu'il y ait une épidémie en RDC confirme ce que je viens de dire. On est bien face à une poudrière partout en Afrique où il y a de la forêt. Dans tous ces pays là (Angola, Gabon, Cameroun, Congo), on devrait s'attendre à une épidémie d'Ebola. Mais vous savez ce n'est pas nouveau, ça fait des années qu'on sait cela. La souche découverte en Afrique de l'Ouest est la même que celle qui sévit habituellement en Afrique centrale.
Malheureusement, on ne peut pas anticiper ces épidémies car elles surviennent presque toujours à distance des précédentes. Avec des équipes médicales qui ne sont plus (ou pas) formées au processus de riposte. Idéalement, les pays devraient avoir un budget prêt à se mobiliser à chaque fois dès les premiers cas. Car avec toutes ces discussions administrativo-politiques, on perd des semaines, voire des mois. Et pendant ce temps, le virus a tout le temps de se répandre. Vous savez aujourd'hui sur le terrain les images que l'on voit peuvent faire penser à une situation de guerre mondiale. Il faut vraiment retenir les leçons de cette épidémie qui est la pire de tous les temps. J'appelle à une conscientisation générale de tous les acteurs.
L'OMS estime qu'il faudra 6 à 9 mois pour que l'épidémie soit sous-contrôle. Qu'en pensez-vous ?
Dr Dieudonné NKOGHE : C'est une fourchette basse à mes yeux. Personnellement je pense plutôt à un an. Et dans le pires des cas, on y sera encore dans deux ans. Il faut réagir et vite. Il faut mobiliser toutes les forces pour qu'elles soient sur les sites, auprès des malades. Le but c'est d'éteindre l'épidémie le plus rapidement possible. Autoriser les traitements expérimentaux a été une sage décision de la part de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS). La preuve avec les quelques cas de rémission que l'on a déjà eu grâce au sérum ZMapp. Maintenant le défi c'est de vulgariser ces traitements et de les rendre accessible à tout le monde. S'il y a une vraie volonté politique, ces produits peuvent être gratuits pour tout le monde. C'est ce à quoi on est arrivé au fil du temps avec les traitements contre le sida.
La peur qu'inspire ce virus constitue-t-elle un véritable obstacle ?
Dr Dieudonné NKOGHE : La peur est une réaction humaine. Mais les personnes formées à la prise en charge de ces maladies doivent montrer l'exemple. Les professionnels de santé ne doivent pas avoir peur car elles seront protégées sur le terrain grâce à des tenues de protection.
Le défi pour ces médecins formés, c'est d'apprendre au personnel médical inexpérimenté comment utiliser ces tenues. En les mettant et en les retirant d'une façon très particulière. Si les soignants omettent des étapes importantes, ces protections peuvent s'avérer inefficaces. Il faut voir la vérité en face en admettant qu'il y a trop peu de soldats et de moyens sur le terrain.
(1) Centre international de recherches médicales de Franceville (Gabon)