Cancer et dépression. Ces deux maladies bien distinctes coexistent souvent. Il est pourtant courant que la dépression reste ignorée chez des patients atteints de cancers, souligne une série d’études publiées dans The Lancet, ainsi que ses éditions dédiées à la psychiatrie et l’oncologie. Pourtant, ce n’est pas faute de solutions adaptées à leur situation.
20 % des services sans psy
Première observation édifiante : les symptômes dépressifs sont plus courants chez les patients atteints de tumeurs. Ceux qui ont développé un cancer du poumon sont les plus touchés (13 %). C’est le résultat du suivi de 21 000 patients Ecossais. Et pourtant, sur 10 patients traités pour un cancer et souffrant de dépression, 7 ne reçoivent pas de soins psychiatriques.
En France, le manque de professionnels de la santé mentale dans les services d’oncologie est clairement en cause. Selon une enquête de la Société française de psycho-oncologie (SFPO), 1 établissement sur 5 n’emploie pas de psychiatre ou psychologue dans son service de cancérologie. Dans la un grand nombre de cas (41 %), un seul professionnel est chargé du suivi de tous les patients. La difficulté à repérer les patients dépressifs tient aussi de leur situation particulière, comme l'explique le Dr Sarah Dauchy, présidente de la SFPO.
Ecoutez le Dr Sarah Dauchy, présidente de la SFPO : « Les patients déprimés ont tendance à moins demander de soins, moins parler, penser que ça n'ira jamais mieux et ne pas demander d'aide. »
Une approche pluridisciplinaire
Autre écueil à la prise en charge de ces malades : l’approche adoptée. Dans la plupart des cas, elle reste traditionnelle, c’est-à-dire qu’elle dissocie traitement du cancer et de la dépression. La méthode optimale, affirment des chercheurs de l’université d’Oxford (Royaume-Uni), consiste à associer les équipes de soignants. Ils publient les résultats de deux essais qui évaluent l’impact du programme ciblé « Depression Care for People with Cancer » (Soin de la dépression chez des personnes avec cancer, ou DCPC). Il inclut une équipe en psychiatrie spécialement formée, qui travaille en collaboration avec l’unité de cancérologie. Cette approche pluridisciplinaire comprend systématiquement un traitement antidépresseur et une thérapie psychologique.
Des succès qui se confirment
Une première étude, parue en 2008, a révélé que l’approche DCPC réduit les symptômes dépressifs chez les patients atteints de cancer. Cette nouvelle série d’études le confirme. « Les bénéfices considérables du DCPC pour les patients atteints de cancer et de dépression prouvent ce à quoi nous pouvons parvenir si nous apportons autant de soin à traiter la dépression que nous le faisons contre le cancer », estime à présent le Pr Michael Sharpe, de l’université d’Oxford.
La première recherche, menée sur 500 patients dépressifs et cancéreux avec un bon pronostic de survie, montre que le DCPC est bien plus efficace que le traitement dissocié. A 6 mois, 62 % des patients du groupe « DCPC » ont vu leurs symptômes dépressifs réduire au moins de moitié, contre 17 % des patients du groupe « traditionnel. »
Ecoutez le Dr Sarah Dauchy : « Lorsqu'on ne relègue pas la souffrance au psy, on arrive à améliorer la souffrance psychique du patient. C'est fondamental pour une pathologie qui arrive dans un cas sur sept. »
Développer la psychiatrie en oncologie
La seconde partie de la recherche s’est concentrée sur 142 patients atteints d’un cancer du poumon avec un mauvais pronostic de survie. Là encore, les résultats sont encourageants : les patients du programme DCPC souffrent d’une dépression moins sévère que les autres. Comme l’explique le Dr Jane Walker, de l’université d’Oxford, « les patients atteints de cancer du poumon ont souvent un mauvais pronostic. S’ils souffrent également de dépression, cela peut gâcher le temps qu’il leur reste à vivre. Cet essai montre que l’on peut traitement efficacement la dépression chez les patients avec un cancer dont le pronostic est mauvais, comme celui du poumon, et améliorer leur vie. »
Reste une limite de taille : l’application. Comme le révèle l’enquête de la SFPO, une majorité des psychologues au sein des unités d’oncologie exercent seuls. Lorsque c’est le cas, ils ne travaillent en lien avec les autres équipes que dans un cas sur deux. Pour améliorer la situation, il faudra donc employer davantage de professionnels de la santé mentale dans ces services. Car les résultats le montrent : lorsque les psychiatres ne sont pas isolés, ils s’associent aux autres soignants de 86 % des cas.