Envoyé spécial, Dr Jean-Paul Marre
Ils sont déclarés guéris de la dépression par leur médecin et pourtant, les patients éprouvent toujours une grande insatisfaction. Comment expliquer cette discordance? C'est à cette délicate question qu'ont tenté de répondre des spécialistes lors des communications présentées au du congrès de l’American Psychiatric Association (Philadelphie 5-9 mai2012)
La prise en charge de la dépression passe par un traitement chimique et psychothérapeutique. Prolongé sur au moins 6 semaines, il va progressivement faire disparaître les symptômes traditionnels qui constituent le cœur de la maladie dépressive : tristesse, idées suicidaires, sentiment de culpabilité, insomnies, ralentissement des fonctions intellectuelles, anxiété.
Cependant, au terme de ce délai, il peut persister de petites anomalies dont se plaignent souvent les malades, tels qu’un sommeil non réparateur, une fatigabilité une émotivité exagérée (avec des larmes qui surviennent facilement). Le patient éprouve des difficultés au travail avec des troubles de la compréhension et des incapacités dans la prise de décision. Ces symptômes ne sont pas assez importants pour qu’ils soient considérés par les médecins comme témoignant d’un résultat insuffisant du traitement, mais ils sont suffisamment gênants pour que le malade ne se considère pas comme guéri. Il n’est pas « comme avant ».
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Il faut donc aller « lfouiller », dans le cerveau pour comprendre pourquoi. Quand elle atteint un certain niveau d’intensité, la dépression est une maladie grave qui a un effet délétère sur le fonctionnement du cerveau. Elle peut correspondre dans certains cas à de véritables lésions de cellules nerveuses ou de leurs connexions. Le cerveau fonctionne, en effet, comme un circuit informatique très complexe. C’est la richesse de ces interactions entres les cellules nerveuses qui va créer des circuits spécialisés pour différentes fonctions du cerveau.
Celles-ci peuvent être hypertrophiées avec l’entraînement ou, au contraire, s'endommager avec certaines maladies. Dans une dépression sévère, comme pour un circuit électronique qui a subi une « surtension » et qui a « grillé », certaines de ces connexions disparaissent et des cellules nerveuses peuvent mourir, altérant la fonction cérébrale concernée.
Les symptômes de la dépression pouvant correspondre à des lésions de certaines cellules nerveuses ou de leurs connexions, il n’est pas anormal qu’il faille plusieurs semaines pour que le cerveau fabrique de nouvelles cellules et des connexions pour rétablir les « circuits neuronaux ». Ces troubles résiduels peuvent durer jusqu’à un an, selon les experts présents au congrès de Philadelphie.
La réflexion des psychiatres se porte donc désormais sur le niveau d’exigence qu’il faut avoir vis-à-vis d’un traitement antidépresseur. Il est vraisemblable que « l’échelle Hamilton », la plus connue dans la maladie et qui mesure le degré sévérité , ne soit probablement pas assez sensible pour évaluer ces symptômes résiduels. Ceci pose donc la question d’une définition plus stricte de la rémission dans la dépression.
Le deuxième problème concerne les conditions de la réinsertion professionnelle après une dépression. Pour que celle-ci soit réussie, une période de réadaptation, avec un mi-temps thérapeutique ou un poste de travail adapté, peut se discuter avec le médecin du travail. D’autant que ce ne sont pas forcément les professions les plus « intellectuelles » qui sont handicapées après une dépression. Une étude française, qui avait concerné les employés de Gaz de France, avait bien montré qu’il y avait plus d’accidents de travails chez les employés dans les mois qui suivaient une dépression.
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La dépression sévère est donc une maladie grave et il ne suffit pas de la guérir pour que ceux qui en souffrent redeviennent tout de suite « comme avant ». Que ce soit dans leur vie personnelle ou au travail.