Augmentation mammaire, Botox et autres liftings : voilà à quoi l’on associe spontanément la chirurgie esthétique. Son volet humanitaire est bien moins connu. Pourtant, nombreux sont ceux qui en bénéficient dans les pays en développement. A l’occasion du congrès de chirurgie plastique F.A.C.E. 2 f@ce 2014, pourquoidocteur a rencontré deux chirurgiens plasticiens qui viennent au secours des populations d’Afrique et d’Asie : le Dr François Foussadier, fondateur de l’Opération Sourire, soutenue par Médecins du Monde, et le Dr Patrick Knipper, président d’Interplast France.
« 80 % de la demande se fait en brousse »
« Je fais partie de Médecins du Monde depuis longtemps, et j’ai beaucoup voyagé, notamment au Cambodge. A force, on s’est rendu compte qu’il y avait beaucoup de problèmes concernant la chirurgie plastique, et qu’ils n’étaient pas pris en charge », se souvient le Dr François Foussadier. « Un jour, on a lancé un appel à la radio. Le lendemain, 300 personnes étaient dans la cour de l’hôpital. On a donc décidé de reproduire l’opération. » C'était en 1989, date de création de l'Opération Sourire. La situation n'est pas meilleure aujourd'hui : les rares plasticiens présents dans les pays en développement exercent dans les capitales.
C’est ce même besoin qui a poussé le Dr Patrick Knipper à aller au devant des patients. « 80 % de la demande se fait en brousse », explique le président d’Interplast. « Quand on se rend dans les pays en développement, on fonctionne comme des nomades. On va jusqu’au village, on voyage avec 200 kg de matériel, on monte des blocs opératoires sous les arbres… On est vraiment au contact de la population, pour réduire le coût mais aussi opérer les enfants en harmonie avec la population locale. »
« Du moment qu’on a des tables et des instruments, on peut y aller »
L’Opération Sourire a choisi d'opérer dans des établissements fixes. Mais les conditions restent précaires. « La chirurgie plastique en elle-même ne demande pas beaucoup de technologie », reconnaît le Dr Foussadier, « mais le problème se pose pour l’anesthésie. Nous (chirurgiens, ndlr), du moment qu’on a une table et des instruments, on peut y aller. On amène aussi beaucoup de matériel, et les salles sont nettoyées. Mais les anesthésistes ont besoin de moniteurs pour le suivi. Sur place, il arrive que les lumières ne fonctionnent pas, et le matériel du bloc est souvent en très mauvais état. Donc il faut tout vérifier au départ, et compenser avec le nôtre. »
Malgré ces difficultés, pas question d’abandonner les règles d’hygiène, qui sont adaptées aux contraintes des pays démunis. « On utilise les mêmes règles qu’en Europe : les patients sont opérés sur des tables ou des bancs, ils sont lavés à l’eau et au savon, pré-lavés avec de la Bétadine », détaille le Dr Knipper. « L’important, c’est que le matériel soit propre. Dès lors que la manipulation est stérile, le risque d’infection est réduit, car les chirurgies des tissus mous s’infectent peu. »
« Reconstruire l’esthétique »
Il ne s’agit pas uniquement d’un travail sur le plan esthétique. Les interventions ont une véritable utilité thérapeutique, parfois vitale. Aux yeux du Dr Knipper, la chirurgie plastique représente un « langage universel », qui resocialise les patients. Ces derniers sont principalement des enfants, et les pathologies traitées sont surtout infantiles : malformations congénitales du type fente labiales ou palatines (plus connues comme le « bec de lièvre »), maladies comme le Noma (1) ou l’ulcère du Buruli (2), ou encore tumeurs faciales. Les chirurgiens opèrent aussi beaucoup de cicatrices causées par des brûlures mais aussi des faits de guerre. Au Rwanda, par exemple, Médecins du Monde est régulièrement intervenu pour soigner des blessures de machettes sur le visage.
Les séquelles de ces différentes affections sont souvent synonymes d’exclusion sociale pour les victimes. C’est là que la dimension esthétique de la chirurgie entre en jeu. « Quand j’ai commencé à faire de l’humanitaire, je pensais faire de la chirurgie réparatrice. J’ai appris, au cours de mes missions, que je faisais aussi de la chirurgie esthétique. Même au fin fond de l’Afrique, avec des maladies inimaginables, l’important pour les gens est de retrouver un beau physique », se souvient le Dr Patrick Knipper. Il illustre ses propos d’un exemple frappant : « Au Ghana, sur les rives du lac Volta, un enfant avec une fente à la naissance est noyé. La simple réparation de cette fente resocialise l’enfant, lui redonne une vie normale. La chirurgie esthétique humanitaire, c’est la finalité même de la chirurgie plastique : elle englobe esthétique et reconstruction. C’est reconstruire l’esthétique », conclut-il.
« On ne touche pas le corps sans l’accord des populations locales »
Mais la chirurgie esthétique humanitaire ne peut pas se faire sans le soutien des populations. L’Opération Sourire s’appuie donc sur des associations locales, qui prennent en charge les patients rejetés, les préparent à l’opération et contactent les chirurgiens. « Ils prennent en charge les patients, on s’occupe d’eux, ils les récupèrent, puis on les revoit l’année suivante », résume le Dr François Foussadier. « Notre mission est très bien acceptée, je n’ai jamais ressenti de méfiance, même dans les situations difficiles », ajoute-t-il. « On sent que les gens sont contents, parce qu’ils ont une chance de se faire opérer. »
Le Dr Patrick Knipper rapporte également de bonnes expériences avec les familles. Mais il reconnaît qu’il existe parfois des tensions dans les petites communautés, où la médecine traditionnelle est reine. « Au début, quand j’opérais, je pensais être le grand chirurgien qui va tout réparer », confie-t-il. « Le problème, c’est qu’on ne touche pas le corps sans l’accord des populations locales. J’ai beaucoup appris, avec le temps, à connaître la médecine traditionnelle. Je m’y suis même initié, pour traiter les patients avec l’accord des guérisseurs. Je demande toujours l’avis du médecin, l’autorisation de la communauté, puis j’opère. Dans mes consultations, nous sommes toujours deux : le médecin traditionnel et moi. » Une fois cette barrière passée, le travail médical peut commencer. Et ces services esthétiques et humanitaires sont plus que nécessaires : à elle seule, l’Opération Sourire a monté 22 missions en 2013, opéré plus de 1 000 patients dans 10 pays différents.
(1) Noma : inflammation de la muqueuse buccale gangreneuse qui détruit à la fois les tissus mous et osseux du visage. Elle touche surtout les enfants en bas âge (6 ans et moins) et résulte du manque d’hygiène, de la malnutrition ou de maladies infectieuses.
(2) Ulcère de Buruli : inflammation nécrosante de la peau et des tissus mous qui s’accompagne d’ulcères de grande taille. Elle est causée par une mycobactérie et se manifeste d’abord par un nodule qui évolue en oedème, s’ulcère et peut toucher l’os.