Près de 5 millions de Français ont des problèmes avec l'alcool. Et quand ils consultent, leur médecin sont souvent dans l'impasse. C'est la raison pour laquelle l'autorisation de prescrire du baclofène dans l'alcoolo-dépendance était plus qu'attendue. Plus de six mois après avoir lancé une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) du baclofène pour les malades alcooliques, l'enthousiasme n'est pourtant pas au rendez-vous. L'Agence de sécurité du médicament (ANSM) a fait un bilan d'étape, au micro de pourquoidocteur, sur la mise en oeuvre de son portail électronique de suivi des patients (www.rtubaclofene.org). « C'est plutôt un succès », a confié François Hébert, directeur général adjoint de l'ANSM. « Surtout que la courbe des médecins et patients adhérant à la RTU, et inscrits sur le site continue à augmenter "raisonnablement" », a-t-il rajouté. Mais l'Agence ne cache pas qu'elle espère que le nombre de médecins et de malades s'amplifient prochainement. Car aujourd'hui, force est de constater que ça piétine.
Un objectif de 300 000 malades en 3 ans !
En effet, à ce jour (17 septembre), seuls 1 100 médecins prescripteurs de baclofène se sont déjà inscrits sur ce portail Internet. C'est peu comparé au plus de 90 000 généralistes que compte l'Hexagone, et qui ont très certainement dans leur patientèle des alcoolo-dépendants. De plus, un peu moins de la moitié de ces praticiens n'ont pas encore enregistré de patients sur le site. Pour l'autre moitié, ces médecins suivent en moyenne 4 patients alcoolo-dépendants, indique l'Agence.
Au final, côté patients, la base de données de l'ANSM compte aujourd'hui 3 700 malades.
Comparé au dernier bilan, il faut donc souligner que la hausse est légère. Fin juin, 2 200 malades avaient en effet adhéré au suivi des patients via ce portail sur le net.
Selon une source proche du dossier, les différents acteurs de ce portail espéraient environ 15 000 patients inscrits après 6 mois de lancement. L'objectif des 100 000 médecins et 300 000 patients sur le portail d'ici trois ans semble donc difficile à atteindre.
Face à ces chiffres, l'Agence souhaite lancer un appel à l'adresse des médecins pour qu'ils continuent de s'inscrire avec leurs patients sur ce portail électronique. Interrogé par pourquoidocteur, François Hébert, directeur général adjoint de l'ANSM rappelle que la RTU à vocation à assurer un bien meilleur suivi des patients au travers de ce portail. « Un cadre plus sécurisé que celui de la prescription hors-AMM (1) », rajoute-t-il.
Ecoutez François Hébert, directeur général adjoint de l'ANSM : « C'est important de rappeler aux médecins que cette RTU existe. Elle permet une meilleure remontée des éventuels effets indésirables qui pourraient être observés avec ce traitement. »
RTU : une délivrance sécurisée au maximum
Par ailleurs, l'ANSM précise que cette RTU est une assurance pour les patients d'avoir un suivi renforcé, notamment avec des posologies validées par l'Agence. Cela dans le but d'éviter le plus possible les effets secondaires indésirables connus (crise d'épilepsie, dépression...)
Pour rappel, l’ANSM a prévu une prescription par paliers : à partir de 120 mg/jour, le médecin doit solliciter un confrère plus expérimenté dans la prise en charge de l’alcoolo-dépendance. A partir de 180 mg/jour ou 120 chez les patients de plus de 65 ans, il lui faudra l’avis collégial d’un CSAPA (2) ou d’un service hospitalier d’addictologie. Quoiqu’il arrive, la RTU ne couvre pas les posologies quotidiennes de plus de 300 mg.
Alors, pour convaincre les médecins encore réticents de rejoindre cette RTU, l'ANSM insiste sur la simplicité du dispositif. « C'est vraiment pas très compliqué et inscrire un patient prend seulement quelques minutes. De plus, lorsque le patient revient en consultation, c'est encore plus simple », prétend François Hébert. Un point de vue que ne partagent pas certains médecins de terrain pour qui le portail électronique est trop compliqué.
Un portail trop compliqué selon les médecins pro-baclofène
Contacté aussi par pourquoidocteur, le Pr Philippe Jaury, coordonnateur de l’essai clinique Bacloville mené chez les médecins libéraux, confie que ces résultats ne sont pas étonnants. Selon lui, ce portail est une contrainte administrative de plus pour les médecins. « Ce n'est pas du tout dans leur fonctionnement d'aller sur internet pour rentrer l'identité de leur patient (seules les initiales du nom et du prénom sont notées, NDLR). En plus, ce portail n'est pas aussi simple que le dit l'ANSM. Il faut rentrer tout un tas de données (traitements antérieurs, résultats des bilans sanguins...). »
En outre, ce médecin généraliste et addictologue souligne que ce dispositif ne rassure pas les patients. « Certains le refusent tout simplement car ils ne veulent pas qu'on rentre leur dossier sur un portail. J'ai plein de patients qui sont contre même lorsqu'on leur dit que c'est anonyme et sécurisé. Il y a une certaine paranoïa autour de ces bases de données sur Internet qui peuvent être piratées », reconnaît-il.
Ecoutez le Pr Philippe Jaury, coordinateur de l'essai bacloville : « Les médecins, il fallait un peu mieux les informer et les former avant. La communication sur ce site n'a pas été très bien faite. »
Enfin, pour l'avenir, le Pr Philippe Jaury pense que l'Agence va encore peiner à convaincre les professionnels de santé de procéder à cette inscription. « Et ce n'est pas le remboursement du produit pour ceux qui rentrent dans le cadre de la RTU qui va changer la donne, précise-t-il. Car les patients qui reçoivent des prescriptions hors-AMM, et hors portail, sont eux aussi remboursés. Il n'y a pour le moment aucun contrôle », avance ce spécialiste du baclofène.
Selon lui, la formation à la prescription du baclofène aurait dû être confié aux médecins de terrain qui militent depuis longtemps pour une commercialisation de ce médicament. « C'est à eux de transmettre et de former, sans passer par un portail qui plus est est compliqué », conclut-il.
D'après l'assurance maladie, depuis 2008, plus de 50 000 patients ont été traités grâce au baclofène, et 7 000 médecins l'ont prescrit en dehors d’un véritable cadre légal.
(1) Hors-autorisation de mise sur le marché
(2) Centres de Soins d'Accompagnement et de Prévention en Addictologie