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Emission télé sur France 4

"Alcootest" : boire à la télé pour comprendre les effets de l'alcool

Par Bruno Martrette

L'alcool est la 1ère cause de mortalité indirecte des 15-30 ans. Afin d'en montrer les effets même à faible dose, des jeunes ont été soumis à des tests à la télé. "Alcootest" est diffusé à 23H sur France 4.

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« Gueule de bois, binge drinking, perte de contrôle, agressivité, vous saurez tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l'alcool sans jamais osé le demander. » C'est comme ça que France 4 présente son nouveau programme « Alcootest ». L'émission diffusée ce mardi soir à 23h se veut inédite selon la chaîne de télévision. En effet, à côté d'une partie reportage « classique » dans laquelle les journalistes ont suivi des jeunes en soirée, les téléspectateurs pourront regarder des Français boire de de l'alcool en direct sur le plateau.
Durant huit épisodes découpés en cinq soirées, soixante expérimentateurs (de 18 à 30 ans) se retrouveront dans un hangar sous l'oeil des caméras. Ils seront constamment surveillés par le Dr Philippe Batel, addictologue, et directeur médical de la clinique des addictions Montevideo (Boulogne-Billancourt, 92).
Le but de cette expérience : savoir si on a toujours conscience des effets réels de l'alcool, même à petites doses. Pour y répondre, tous les participants ont été soumis à des tests (sous contrôle médical) pour comprendre les conséquences de l'alcool sur le cerveau. Ou encore, comment ce dernier agit sur le corps et sur les relations sociales. Annoncé au mois de juin, le programme fait déjà polémique. 

Aucun danger spécifique lors des expérimentations
Pour rassurer les Français inquiets, le Dr Philippe Batel a confié à pourquoidocteur que « l'alcoolisation au cours de ces expériences est toujours largement au-dessous des habitudes d'alcoolisation des participants. Par conséquent, on ne les met jamais en danger spécifique », souligne-t-il.
En détails, les cobayes boiront 4 verres lors d'une occasion. Et l'épisode qui poussera l'expérience le plus loin fera tout de même boire 4mg d'alcool à un expérimentateur, c'est-à-dire dix verres d'une boisson alcoolisée. 
Mais pour le Dr Batel, « l'ambition du programme est d'atteindre une population jeune pour tenter de les faire changer de représentation sur l'alcool. Comme leurs parents, beaucoup d'entre eux sont persuadés que l'alcool est un plaisir convivial absolument majeur et un merveilleux lien social. Ils n'ont pas l'idée qu'il y a un impact, même avec des consommations relativement faibles. » 
Et les exemples ne sont pas choisis par hasard : les tests démontreront notamment comment l'alcool altère le jugement pour sélectionner un(e) partenaire qui nous plaît en soirée, mais aussi l'impact négatif de l'alcool sur la sexualité (conduites à risques). 
Parmi les preuves les plus marquantes des dégats de l'alcool, une expérience montre l'effet néfaste de l'alcool sur l'attention. Pour cela, ils ont recruté deux champions d'échecs à qui ils ont fait boire de la vodka (seul alcool avec un placebo validé). Résultat, une fois alcoolisés, les champions perdent très vite  leurs capacités intellectuelles, et ont le niveau d'échecs d'un ado en classe de 5ème.

Donc pour le Dr Philippe Batel ceux qui pensaient voir le « Loft de l'alcool » seront déçus. « Il n'y aura pas de gens ivres morts en train de vomir partout, rassurez-vous. En aucun cas je n'aurais prêté ma contribution à un tel programme. Car ça c'est ce qu'ils vivent au quotidien en soirée, ils n'ont pas besoin en plus de le voir à la télé. Ici, le but n'était pas de montrer que l'alcool est un produit épouvantable. Mais plutôt que ce n'est pas un produit anodin, même avec de petites doses. » Et l'objectif a été réussi selon ce spécialiste puisqu'il confie que beaucoup d'expérimentateurs ont été surpris des résultats. 

Les opposants désormais apaisés
Pourtant, l'annonce de ce programme a entraîné dans un premier temps beaucoup de critiques. Voyeurisme, exhibitionnisme, trash, les qualificatifs n'ont pas manqué cet été pour dénoncer cette émission. Mais aujourd'hui la plupart des voix dissidentes semblent s'être tues. Ainsi Jean-Pierre Couteron, président de la Fédération Addiction avoue qu'il n'est pas choqué que « dans une époque de l'image, on passe par la visualisation de ce que peut faire l'alcool. Dès lors qu'un certain nombre de principes éthiques et de responsabilité sont respectés. Et je sais aujourd'hui qu'il seront respectés », tient-il à préciser.
« Au départ, nous avons craint qu'il s'agisse d'un programme exibitionniste. Le problème c'est que faire cela sur un sujet comme l'alcool peut avoir un effet incitatif, notamment chez les adolescents. »

Ecoutez Jean-Pierre Couteron, président de la Fédération Addiction : « Ces espèces de défi avec l'alcool, du genre "t'es pas cap", ils en font déjà entre eux lors de soirées. Nous ne devons pas participer à cela, en l'encourageant. »


Découvrir les risques de l'alcool par des canaux modernes
Mais d'après ce spécialiste, utiliser l'image est ici une pédagogie supplémentaire, « à l'époque des simulateurs de vol, et de conduite ». « Pourquoi donc ne pas parler d'alcool de façon un peu moderne, avec de l'image », suggère-t-il. « C'est bien car ce sont désormais les canaux qu'utilisent les jeunes. Le but c'est d'éviter que les adolescents aillent jusqu'à des consommations dangereuses. Car l'expérimentation peut aussi avoir un effet disuasif. Et c'est bien qu'elle se passe également à la télé, et non au sein du foyer familial. Les parents ne doivent pas faire boire de l'alcool aux plus jeunes », rappelle-t-il.
Toutefois, ce qui a semblé choquer le public c'est que dans cette émission il y a réellement consommation d'alcool. « Jusqu'à présent on mettait aux jeunes des lunettes déformantes qui ont pour effet de se rapprocher de ce que fait l'alcool », fait remarquer Jean-Pierre Couteron.
De plus, ce spécialiste souligne que cette expérience est le contraire de la tendance actuelle. « Aujourd'hui, certains jeunes mettent en ligne leurs hyper-alcoolisation sur les réseaux sociaux. Et le but c'est d'aller toujours plus loin. La preuve avec la neknomination qui a fait fureur pendant un temps sur Facebook. Or ici, le programme montre tout le contraire. Le fait qu'avec même des petites quantités d'alcool, nous sommes incapables de reproduire des faits et gestes faciles, la conclusion c'est que l'alcool rend bête. »

La partie "LIVE" (en reportage) plus contestée
Enfin, s'agissant de ce programme, le Dr Philippe Batel veut mettre fin à une idée reçue. Il avoue ainsi que contrairement à ce que beaucoup pensent, la partie de l'émission où les jeunes se mettent le plus en danger est la partie reportage dite « LIVE » qui suit des groupes de jeunes dans la vraie vie. 
Pour le Dr Alain Rigaud, Président de l'Association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA), ces équipées nocturnes filmées seraient en effet trompeuses : « On y voit les personnes filmées dans leur jeunesse : fraîches, souriantes et pouffant de rire. L'alcool paraît sympathique et on a envie de rire avec eux. Mais heureusement la soirée ne tourne pas mal. Les jeunes qui vont regarder peuvent se dire : "oui l'alcool rend bête mais ce n'est pas très grave." C'est cela qui est troublant », pense-t-il.
« Pour moi, la partie reportage vient atténuer la portée des messages de prévention et d'alertes sur les risques de l'alcool que l'on retrouve à plusieurs reprises dans la partie expérimentation en plateau. » 
Or, l'alcool est un fléau. Pour preuve, il est responsable d’un accident mortel sur trois chez les jeunes. Ainsi, il a causé la mort de 331 personnes ayant entre 18 et 24 ans en 2010.

Ecoutez Dr Alain Rigaud, Président de l'ANPAA « On a l'impression que le choc des images ne fera pas le poids devant le poids des mots. »



Source : vidéo YouTube