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Prix du Jury, Festival de Cannes 2014

"Mommy" : des psys décryptent la souffrance d'un ado

Par Bruno Martrette

« Mommy », c'est la vie chaotique d'une mère et de son fils impulsif et violent. Un ado qui cumule hyperactivité et trouble des conduites. Le réalisateur dépeint avec justesse leur souffrance. 

L'acteur canadien Antoine-Olivier Pilon incarnant le rôle de Steve Després dans le film "Mommy", Joel Ryan/AP/SIPA
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La bombe du réalisateur québécois Xavier Dolan est lancée. Le film « Mommy » vient en effet de sortir dans les salles de cinéma françaises ce mercredi. Prix du Jury  au dernier Festival de Cannes (2014), il retrace l'histoire d'une veuve mono-parentale (Diane Després) qui hérite de la garde de son fils, un adolescent TDAH impulsif et violent (Steve Després). Au coeur de leurs emportements et difficultés, ils tentent de joindre les deux bouts, notamment grâce à l’aide inattendue de l'énigmatique voisine d’en-face, Kyla. Tous les trois finissent par retrouver une forme d'équilibre et, bientôt, d'espoir.
Malgré cette rencontre positive on ressent tout au long du film l'impasse dans laquelle se trouve ce jeune adolescent de 15 ans. Mais alors, de quoi souffre au juste le jeune Steve Després ? 

TDAH, TOP, et trouble des conduites
Pour le Dr François Bange (1), pédopsychiatre (Hôpitaux Robert Debré, Paris 19e, et Saint-Anne, 14e), « on ne voit pas dans le rôle de Steve Després ce qui caractérise le Trouble Déficit de l’Attention/Hyperactivité (TDAH). Cela est surprenant car on nous dit dans le film que le jeune homme a un TDAH (et des troubles de l'attachement). Or, on ne le voit pas du tout. Ce n'est jamais montré. » 
« Les scènes où il affiche un certain goût pour faire du travail scolaire assez rebarbatif (mathématiques) ne sont pas habituelles chez quelqu'un qui a un TDAH. Ces enfants présentent en effet beaucoup de déficit de l'attention », rappelle ce spécialiste.

Selon lui, les syndromes que l'on peut reconnaître chez ce jeune homme appartiennent au trouble oppostionnel avec provocation (TOP). « On voit bien dans le film cette difficulté qu'a Steve à accepter les règles, les critiques, et à supporter les frustrations. Mais aussi la facilité avec laquelle il se met en colère de façon extrêmement sévère et récurrente. Souvent pour des motifs mineurs. A côté de ça je trouve ques les côtés provocateurs de sa personnalité sont bien montrés. »
En plus de ces symptômes, le Dr François Bange a aussi retrouvé des éléments plus graves dans la personnalité de Steve. Parmi eux, une agressivité importante et un mépris pour la souffrance qu'il provoque. Ces éléments lui font penser au trouble des conduites. « D'ailleurs au début du film il est exclu d'un centre de rééducation à cause d'un incendie qu'il a provoqué. Mais il n'éprouve aucun remord alors qu'un de ses camarades a été brûlé au 2ème, voire au 3ème degrè par sa faute », fait-il remarquer.


Une fable et non un documentaire
Même son du cloche du côté du Dr Bernard Durand, psychiatre, président de la Fédération d’Aide à la Santé Mentale Croix-Marine, qui pense aussi qu'il ne s'agit pas d'un film sur le TDAH. Pour la défense de Xavier Dolan, ce médecin précise que le jeune réalisateur de 25 ans présente son film comme une fable et non pas comme un documentaire sur l'hyperactivté. A ce titre, ce spécialiste souligne que la définition de cette pathologie varie selon les régions, et que Steve présente aussi certains symptômes du TDAH, notamment l'hyperactivité et l'impulsivité. La preuve avec la vidéo ci-dessous dans laquelle on voit le jeune Steve débordant d'énergie.


Source : vidéo YouTube 

Faire la différence entre le TDAH et d'autres troubles 
« Je vais être assez tranché, mais je pense que pour des parents à qui on vient d'annoncer que leur enfant a un TDAH, le film peut être dévastateur. Car il ne représente pas du tout l'évolution habituelle d'un enfant TDAH. De ce point de vue là le film est scandaleux. Par contre si on se place du côté de la discussion sur les troubles des conduites ou le TOP le film est plus proche de la réalité. »
Pour les jeunes adolescents, ce pédopsychiatre conseille d'aller voir ce film avec des adultes. « L'idéal serait que la séance soit suivie d'un débat, pour bien leur expliquer que ce n'est pas un film sur le TDAH. » Et l'enjeu est important car l'hyperactivité est un trouble fréquent dans la population. Selon le Dr François Bange, elle toucherait en effet 5 % des enfants dans le monde. Avec comme conséquence pour eux : une scolarité perturbée et des parents épuisés. Mais en aucun cas ces enfants ne sont violents ou agressifs. Et à l'âge adulte leur surplus d'énergie peut se transformer en bénéfice.

Surtout que face à ce syndrome composite des traitements efficaces existent. Parmi eux, on trouve les programmes psycho-éducatifs et psychothérapies ou la remédiation cognitive et neurofeedback. Il existe aussi des traitements médicamenteux dont celui avec la molécule la plus utilisée en France qui est le méthylphénidate (Ritaline*, Ritaline LP*, Concerta LP*, Quasym LP*), inventé il y a 60 ans. 


« Malheureusement, ces nombreuses alternatives en terme de traitements on ne les retrouve pas pour les troubles de conduite ou le TOP qui sont beaucoup plus graves et se soignent très difficilement », déplore ce psychiatre.
Pour comprendre à quoi ressemblent ces troubles, vous pouvez regarder la bande annonce du film Mommy. Ces derniers se manifestent dès 2min03-2min23.


Source : vidéo Youtube

Une mise en image "exceptionnelle" de la souffrance d'être différent
Enfin pour toutes les personnes interrogées, « Mommy » c'est surtout une mise en image exceptionnelle de la souffrance que peuvent ressentir les gens différents, ainsi que leurs proches.
« Ce sont des enfants qui souvent ont eu de grandes difficultés, des liens difficiles avec les parents, ainsi qu'une insécurité profonde. Et ils ont aussi une absence d'estime d'eux-même. Ces éléments sont des noyaux durs de leur personnalité. C'est souvent très dur de comprendre ce qu'il se passe chez eux. Mais on essaye toujours de les aider à se construire ou à se reconstruire. Il faut travailler dans ce sens là, plutôt que d'essayer de le rendre conforme grâce à des médicaments neutralisants », pense le Dr Bernard Durand

A côté du mal-être que ressentent ces jeunes en détresse,  il y a aussi la souffrance des familles.
D'ailleurs pour Christine Getin, présidente de l'association TDAH France cet élément est le message principal du film : « Ce n'est pas un film sur le TDAH, mais plutôt sur des jeunes qui ont des difficultés de comportement. Et sur leurs famillles qui sont confrontées à cette gestion dans un environnement difficile en plus. Cette maman (Diane Després), on lui a proposé deux solutions dans le film : soit rester seule face à un adolescent de 15 ans ingérable et violent, soit l'enfermement de son enfant. Elle ne bénéficie d'aucun accompagnement dans son parcours de vie. Et quelque part je retiens ça dans le film. Car c'est la situation que vivent beaucoup de parents qui ont un enfant différent. Y compris ceux qui ont un enfant TDAH », conclut-elle.

Mais, comme dans le film, une rencontre peut parfois changer le destin de ces jeunes en difficulté.


Ecoutez le Dr Bernard Durand, président de la Fédération d’Aide à la Santé Mentale : « Combien de fois j'ai vu des jeunes désorganisés, sans limite, rencontrer un éducateur avec qui il va se passer quelque chose. Tout d'un coup ils se sentent reconnus, valorisés... »


(1) Auteur du livre « L'enfant inattentif et hyperactif - 2e éd. - Le comprendre et l'aider », aux InterEditions