« Avec tact et mesure ». C’est par cette formule pour le moins floue que le Conseil de l’Ordre des médecins encadrait jusqu’ici les dépassements d’honorairesdes médecins. Selon l’Assurance maladie, ces dépassements ont représenté 2,3 milliards d’euros en 2011. 24 000 médecins sont concernés, ils sont inscrits en secteur 2, c’est- à-dire qu’ils fixent librement leurs honoraires avec tact et mesure. Parmi les chirurgiens ou les ORL, par exemple, la majorité des médecins exercent ainsi. Le problème est plus ou moins aigu selon les régions. Une enquête publiée par Le Monde en avril dernier révélait que 45% des médecins parisiens pratiquent des dépassements contre seulement 12% de leurs confrères marseillais. Et le taux de dépassement varie de 11% au dessus du tarif de la Sécurité sociale dans le Cantal à 114% à Paris.
Priorité affichée de la nouvelle ministre de la Santé Marisol Touraine, l’encadrement des dépassements vient de franchir un pas hautement symbolique. Pour la première fois, le Conseil de l’Ordre des médecins, l’institution garante de la déontologie médicale, précise un plafond chiffré pour les dépassements acceptables et recommande aux médecins en secteur 2 d’effectuer au moins 30% de leur activité au tarif opposable.
Dr Michel Legmann, président du Conseil national de l’Ordre des Médecins : « Au maximum 3 à 4 fois le tarif opposable en fonction de la capacité financière du malade »
Pas question en effet pour l’Ordre de remettre en cause tous les dépassements d’honoraires. Pour Michel Legmann, ils ont leur justification, compte tenu de la « déconnexion entre les tarifs de la Sécurité sociale, le coût de la vie et les charges économiques des structures médicales ». Ce sont les « excès incompréhensibles » qui sont visés, autrement dit les consultations à plus de 100 euros, les poses de prothèses de hanche ou de genou qui se chiffrent en milliers d’euros … Ces dérives sont principalement le fait de médecins hospitaliers qui ont une activité privée à l’hôpital et là encore. Le phénomène est d'ailleurs plutôt parisien.
Payer cher peut être un choix pour certains patients mais ils sont loin d’être majoritaires, le dépassement étant très souvent un frein à l’accès aux soins. Pour le Collectif interassociatif sur la santé (Ciss), la prise de position de l’Ordre est une bonne nouvelle car elle marque sa prise de conscience de l’ampleur du problème. Mais il ne faudrait pas croire qu’elle résout tout, loin de là.
Arnaud de Broca, vice-président du Collectif interassociatif sur la santé : « Certains médecins pourraient y voir une incitation à pratiquer 3 à 4 fois les tarifs sécu »
Préciser ce plafond de 3 à 4 fois le tarif opposable permet de désigner clairement les médecins en dehors de tout « tact et mesure ». Sur demande de patients ou de l’Assurance Maladie, ils s’exposent à des poursuites disciplinaires.
Dr André Deseur, président de la section Exercice professionnel de l’Ordre des médecins : « Au delà de 70 euros facturé sans information écrite préalable, vous pouvez saisir l’Ordre »
En avril, un sondage réalisé pour le Collectif interassociatif pour la santé a montré que 52% des Français souhaitaient un encadrement des dépassements et 32% leur interdiction. Le gouvernement souhaite donc aller plus loin. Dans s on premier discours de ministre de la Santé, Marisol Touraine a fait de la limitation des dépassements un engagement prioritaire et « la pierre angulaire d’un système de santé juste ». Elle souhaite que des négociations soient engagées rapidement pour apporter des réponses région par région et spécialité par spécialité. Les propositions de l’Ordre que le Dr Legmann prévoit de lui remettre en main propre très prochainement devraient donc contribuer à alimenter ce débat.