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Ces médicaments qui menacent la Sécurité sociale

Les pistes pour réguler les prix des médicaments

Par Marion Guérin

SERIE. A l’occasion de « l’affaire » du médicament Sovaldi, ce médicament contre l’hépatite C facturé 58 000 euros, pourquoidocteur revient sur le prix des médicaments en France. 

GILE MICHEL/SIPA

Lorsque le gouvernement a concocté son projet de loi 2015 de financement de la Sécurité sociale, il s’y attendait : Gilead n’allait pas aimer. Le laboratoire américain, visé par une taxe spéciale, doit mettre la main à la poche. En ligne de mire : son médicament phare contre l’hépatite C, le Sovaldi. A 58 000 euros le traitement, pour 200 000 patients potentiels, la Sécu a vite fait ses comptes. Ce médicament aura englouti 1 milliard d’euros de dépenses publiques en 2015.

Glivec, Lucentis, Crestor… … La liste de ces médicaments onéreux et/ou prescrits en grande quantité est longue, et continuera de s’allonger. Les progrès de la biologie ont permis à la science et à l’industrie de mettre au point des molécules de plus en plus ciblées, efficaces. Elles soignent des maladies « orphelines », - des cancers rares, des associations de pathologies spécifiques. Les « médicaments innovants » sont l’avenir de la médecine. Et ils coûtent une fortune.

En matière de traitements de pointe, la France est réputée payeuse, elle ne laisse pas mourir ses patients. Mais pour combien de temps ? Comment pourra-t-elle continuer à offrir ces médicaments, et à qui ? Confronté à des dilemmes éthiques majeurs, l’Etat multiplie les arrangements pour forcer les laboratoires et les médecins à faire baisser la facture. Avec des résultats mitigés.

Pourquoidocteur entame ce lundi la publication d'une série de trois articles pour comprendre comment sont fixés les prix des médicaments, revenir sur ceux qui posent problème et détailler les alternatives au système actuel. Un système que la plupart des acteurs jugent complexe, voire opaque. Entre intérêts publics et privés, idéologie et pragmatisme, business et santé sont-ils compatibles ?


SERIE 3. Quelles pistes pour réguler le prix des médicaments ? 

Baisser le prix des médicaments : pour le gouvernement, c’est l’un des principaux leviers du futur Budget de la Sécu. Le projet de loi prévoit en effet d’économiser 550 millions d’euros d’économies, rien qu’en réduisant les tarifs médicamenteux.

Les mauvaises langues pourraient voir dans ces mesures des « rustines », des  « réformettes » incapables de transformer en profondeur le système de fixation des prix et de répondre aux nouveaux défis posés par les médicaments innovants. Mais le dossier est épineux. Le secteur pharmaceutique répond aux mêmes règles que les autres industries, aux mêmes lois de la concurrence dans un marché mondialisé.

Comment faire pour réduire le poids des médicaments dans les dépenses publiques ? Des experts lancent des pistes.

Forcer les laboratoires à baisser leurs prix
Cela semble tout simple sur le papier. Les médicaments sont très chers ? Mettons les fabricants face à leurs responsabilités. Demandons-leur de vendre moins cher, de rogner sur leurs bénéfices, de minorer leurs marges… Bref, d’être « moins riches » pour que chacun puisse se guérir.

En juin, 15 pays, avec le soutien de la Commission européenne, se sont adressés à l’industrie pharmaceutique en réaction au Sovaldi. Dans une déclaration commune, les signataires (la France, l’Allemagne, la Belgique, la Pologne, la Lituanie, les Pays-Bas, le Portugal, Chypre, la Croatie, l’Irlande, la Slovénie, la Slovaquie, le Luxembourg, l’Italie et la Roumanie) affirment que ces traitements « sont extrêmement élevés et insoutenables pour les budgets de santé ». Ils demandent aux laboratoires un « compromis adéquat » entre leurs gains et l'accès aux soins.

« L’industrie pharmaceutique fait mieux que le luxe et le pétrole »
Raisonnement simpliste ? Pas pour Jean-Paul Vernant professeur d’hématologie à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. « Le discours de l’industrie pharmaceutique, qui justifie ses marges bénéficiaires par le réinvestissement dans la recherche, ne tient pas. Moins de 15 % du chiffre d’affaires des laboratoires est réinvesti dans la recherche et le développement ! Pour le marketing et la publicité, ce taux est de l’ordre de 20-25 %. Jamais, depuis vingt ans, l’industrie pharmaceutique n’a eu des bénéfices inférieurs à deux chiffres. Elle fait mieux que le luxe et le pétrole », affirme-t-il.

Pour ce médecin, dont la voix pèse dans le monde de la cancérologie, tout est question de juste mesure. « Au moment des négociations, les laboratoires devraient expliciter combien, précisément, ils ont investi pour le médicament, et combien ils souhaitent redistribuer aux actionnaires. On pourrait définir un temps d’amortissement, à l'issu duquel l'industriel, tout en conservant le monopole jusqu'au terme du brevet, vendrait la molécule aux prix du générique. Ce serait plus juste. »

Mais Jean-Paul Vernant le sait bien : cette mesure ne serait envisageable que si elle relevait d’une décision collective, d’une politique européenne commune du médicament. « Franchement, je suis pessimiste à ce sujet… »

Maîtriser les prescriptions
Autre levier d’action pour maîtriser les dépenses du médicament : contrôler les ordonnances des médecins. Les études montrent en effet qu’ils prescrivent les médicaments les plus chers. Le gouvernement a déjà entrepris une mesure en ce sens, en exigeant des médecins qu’ils fassent une demande préalable pour prescrire du Crestor (voir Série 2). L’annonce a provoqué un tollé chez les médecins, qui ont dénoncé une entrave à leur liberté de prescrire.

Mais pour Gilles Johanet, ancien directeur de l’Assurance Maladie et ex-président du Comité Economique des Produits de Santé (CEPS) qui fixe les prix des médicaments, c’est un tabou qu’il faut lever. « On parle toujours de la liberté de prescrire… Mais jamais de la responsabilité des prescripteurs ! On sait bien que la France consomme trop de médicaments, mais jamais le rôle des médecins n’a été pointé du doigt. En Angleterre et en Allemagne, ils ont une enveloppe fermée : ils ne peuvent pas prescrire au-delà d’un montant fixe. On pourrait envisager des mesures en ce sens pour limiter la surprescription des médicaments chers ».


Sans aller jusque là, l’Assurance Maladie planche sur un moyen de contrôler les prescriptions. Dans un rapport daté de juillet, elle affirme que « la mise en place d'une nouvelle option conventionnelle permettant au médecin traitant de gérer plus globalement ses prescriptions en fonction de sa patientèle devrait être envisagée ».

Créer un lobby du générique
Une question se pose : pourquoi les médecins prescrivent-ils en priorité des médicaments chers, plutôt que des moins chers ? Lobbying. Le gros mot est dit. Les laboratoires rendent régulièrement visite aux médecins pour leur présenter les dernières molécules et traitements disponibles sur le marché. « Cela constitue une source d’informations précieuses pour eux, affirme Gilles Johanet. A chacun de se laisser influencer ou pas. Après tout, les médecins sont suffisamment bien payés et éduqués pour résister aux discours commerciaux des laboratoires ! »

Mais ces laboratoires ne se contentent pas d’informer. Si l’époque des mallettes d’argent glissées sous la table est bel et bien révolue, les liens entre l’industrie pharmaceutique et les médecins sont régulièrement pointés du doigt. En cause : les avantages offerts aux praticiens par les laboratoires (invitation à des colloques, dîners, voyages…). Des « cadeaux » certes encadrés par la loi, mais qui peuvent malgré tout influencer le prescripteur.

Mais mettre un terme à cette pratique serait loin de régler le problème, selon Claude Le Pen, économiste de la santé. « Quand les laboratoires cessent leurs visites, le médecin se retrouve isolé de la communauté scientifique. Il est tenu à l’écart des congrès, n’est plus au courant des dernières études, il n’y a plus aucune animation autour de lui. C’est notamment ce qu’il se passe si le médecin se met à prescrire des génériques ».

Selon Claude Le Pen, la solution consisterait non pas à supprimer le lobbying, mais à « améliorer le système de promotion des médicaments génériques ». Ainsi, entre deux lobbies, le médecin aurait véritablement le choix.

Améliorer la transparence dans la fixation des prix
C’est une piste soulevée par de nombreux acteurs. Accusé d’opacité, le système de fixation des prix attire la curiosité des associations de patients, qui aimeraient bien être intégrées dans les processus décisionnels. Une instance en particulier cristallise tous les soupçons, les doutes, mais aussi les fantasmes : le CEPS.

Médecins du Monde milite ainsi depuis plusieurs années pour faire entrer les associations d’usagers dans ce conseil. « Nous avons rencontré à plusieurs reprises des membres du CEPS, affirme Jean-François Corty, directeur des missions France. C’est en débat. La prochaine loi de financement de la Sécurité sociale devrait inscrire la nécessité d’intégrer des acteurs neutres dans cette commission. »

Problème : les négociations menées par le CEPS relèvent du secret industriel… « Certes, mais ce sont des instituts publics qui livrent aux laboratoires le résultat de leurs recherches. On devrait pouvoir déterminer la part du public et celle du privé. Tous ces critères ne sont pas clairs. Les associations, par leur présence, apporteront de la transparence ».

Mener des négociations sur le long terme
Etonnamment, le LEEM (Les Entreprises du Médicament), qui défend les intérêts de l’industrie pharmaceutique, soutient cette idée. Toutefois, selon ses représentants, le problème ne provient pas d’un manque de transparence, mais d’une mauvaise méthode de calcul.

Eric Baseilhac, directeur des Affaires économiques du Leem, explique : « Il faut analyser les données sur des périodes beaucoup plus longues et élargir la focale. Il existe d’autres paramètres que l’on ne prend pas assez en compte dans le calcul du prix. Quelles sont les économies générées par ce médicament, par exemple ? »

De fait, si l’on prend l’exemple du Sovaldi, il faut imaginer que 200 000 personnes seraient complètement guéries de l’hépatite C… Ce qui ferait économiser des millions d’euros à l’Assurance Maladie (hospitalisation, traitements, suivi médical, arrêts maladie…).

Si toutes ces pistes présentent un intérêt incontestable, elles ne sont pas à l’ordre du jour. Le budget de la Sécu sera présenté ce lundi. Il n’y aura pas de remise à plat du système de régulation des prix du médicament. Pas encore…

Retrouvez la SERIE 1 Comment fixe-t-on le prix des médicaments ?

Retrouvez la SERIE 2 : Des molécules innovantes mais trop coûteuses