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Aux Etats-Unis

Ebola : polémique sur la mise en quarantaine des soignants

Par Marion Guérin

Les Etats-Unis font marche arrière, après la décision de plusieurs Etats d’instaurer la quarantaine obligatoire pour le personnel soignant qui revient d’Afrique de l’Ouest.

Katherine Mueller/I/NEWSCOM/SIPA

Imposer le placement en quarantaine au personnel soignant qui revient d’Afrique de l’Ouest ? Sage décision, pour certains. Absurde, pour les autres. Aux Etats-Unis, le débat a pris une tournure polémique ces derniers jours.

Vendredi, les gouverneurs de New York et du New Jersey ont, en effet, instauré le placement systématique en quarantaine pour tous les voyageurs ayant eu des contacts avec des patients en Afrique de l'Ouest, même en l'absence de symptômes. L'Illinois leur a emboîté ce dimanche. La raison : quelques jours avant, un premier cas d’Ebola avait été découvert chez un médecin à New York, générant un nouvel élan de panique.


Une chambre d'isolement pour les futurs malades du virus Ebola, dans un hôpital de New York - 8 octobre 2014 - RICHARD DREW/ AP/ SIPA

Traitée « comme une criminelle »
La première à en avoir fais les frais s’appelle Kaci Hickox. Vendredi, de retour de mission en Sierra Leone aux côtés de MSF, cette  infimière américaine de 33 ans a été placée d'office en quarantaine alors qu'elle ne présentait aucun symptôme. Dans les colonnes du Dallas News, elle dit avoir été traitée « comme une criminelle » à son arrivée dans le New Jersey.

Placée à l'isolement pour vingt et un jours dans une tente hermétique, et ce, malgré des tests négatifs, elle a dénoncé une organisation chaotique et un traitement inhumain. « Je viens de passer un mois à surveiller des enfants qui mouraient seuls. J'ai essayé d'aider alors que la plupart des pays du monde n'ont rien fait. Nous avons besoin de davantage de personnels de santé pour lutter contre l'épidémie en Afrique de l'Ouest. Et les Etats-Unis doivent traiter les personnels qui rentrent de là-bas avec dignité et humanité », écrit-elle. Face à la levée de boucliers, le gouverneur du New Jersey a mis fin à sa quarantaine.


 


Stigmatiser le personnel soignant
L’affaire a de quoi décourager les rares candidats au départ… MSF a immédiatement déploré une décision qui pourrait « miner les efforts visant à maîtriser l'épidémie à sa source». Le gouvernement fédéral et les autorités sanitaires sont aussi montés au créneau pour dénoncer la mesure, jugée trop extrême, inutile, voire stupide.

« Nous sommes inquiets de certaines mesures prises dans divers endroits qui peuvent avoir pour effet de stigmatiser davantage ou de donner de fausses impressions, a insisté le directeur des Centres américains de contrôle et de prévention des maladies (CDC), Tom Frieden. On n'attrape pas Ebola de quelqu'un qui n'est pas malade ».

Même le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon, a dû recadrer ces Etats un brin trop prévoyants. Il a ainsi appelé à une certaine forme d’égard envers les soignants de retour d'Afrique de l'Ouest. « Ce sont des gens exceptionnels, qui donnent d'eux-mêmes pour venir en aide à l'humanité. Ils ne devraient pas être soumis à des restrictions qui n'ont pas de base scientifique », a-t-il déclaré depuis Addis Abeba.

Pas de quoi rassurer l'opinion publique. Sur les réseaux sociaux, les citoyens américains se montraient plutôt favorables à la mesure de quarantaine. Une page Facebook a même été créée pour empêcher le retour de l'infimière dans le Maine, où elle habite...

 


« Les virus sont plus intelligents que les douaniers »
De fait, si la mise en quarantaine a le mérite de rassurer les populations, elle ne semble pas se justifier scientifiquement. Stéphane Mantion, directeur général de la Croix-Rouge française, explique ainsi au Figaro que la quarantaine, pratiquée depuis la nuit des temps lors des épidémies, ne marche pas: « Au Moyen Âge on isolait des villes, cela n'a pas empêché la peste de perdurer des siècles durant ».

« Les virus sont beaucoup plus intelligents que les douaniers, répond, sur le même ton, l'infectiologue Marc Gentilini, toujours sur le site du Figaro. On ne peut pas empêcher les virus de traverser les frontières, c'est totalement illusoire ».

Même dans les pays africains touchés de plein fouet par Ebola, les mesures de quarantaine ne semblent pas produire leurs effets. Pire, elles pourraient avoir accéléré la transmission du virus, en forçant les populations à rester confinées dans des conditions sanitaires épouvantables, selon une étude publiée dans le journal en ligne PLoS Outbreaks en septembre.


Une famille, suspectée d'être contaminée, est placée en quarantaine à Port Loko, Sierra Leone - 22 octobre 2014 - Michael Duff/AP/SIPA

Des contrôles renforcés
Aux Etats-Unis, les CDC ont donc produit leur propre feuille de route. Ils suggèrent, sans obligation, de contrôler les voyageurs revenant sans symptômes de pays africains affectés par Ebola en fonction des risques, classés en quatre catégories. Ces mesures concernent moins de cent personnes par jour qui arrivent dans un des cinq aéroports américains où sont contrôlés les voyageurs venant du Liberia, de la Sierra Leone ou de Guinée.

Pour les individus considérés comme à « haut risque », s'ils ont par exemple soigné des malades d'Ebola, « nous voulons être certains qu'ils ne se rendent dans aucun lieu public, ni au travail et que leurs déplacements soient approuvés par les autorités sanitaires locales », a précisé le Tom Frieden.

En revanche, l’armée américaine, partie pour faciliter le travail des équipes humanitaires, sera bien placée en quarantaine, malgré l’absence de contact avec des patients Ebola. NBS News révèle ainsi qu’une troupe de douze soldats, ainsi que leur commandant, Major General Darryl Williams, seront confinés pendant 21 jours dans leur base à Vicence, dans le Nord de l’Italie, avant de pénétrer sur le territoire américain.

Regardez le reportage d'ABC News sur la polémique liée aux mesures de quarantaine aux Etats-Unis (en anglais)