C’est une découverte qualifiée tantôt de « révolutionnaire », tantôt d’ « extraordinaire ». Une équipe de l’Inserm a trouvé un moyen de détecter les signes précoces du cancer du cancer, des années avant qu’il ne se déclare cliniquement. Mais aussi encourageants soient-ils, ces résultats, publiés dans la revue Plos One, ont besoin d’être nuancés.
Des cellules précurseurs du cancer
Jusqu’ici, on ne pouvait déceler le cancer du poumon qu’au moyen de l’imagerie médicale. Problème : à ce stade-là, il est en général trop tard. Faute d’un dépistage précoce, le pronostic vital est de l’ordre de quelques mois…
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L’équipe de scientifiques a étudié une cohorte de 245 personnes à risques de développer des cancers. Certains étaient de très gros fumeurs ; d’autres (168 sujets) étaient atteints de BPCO (Bronchopathie Chronique Obstructive), dont la première cause est le tabagisme. Objectif : déceler si des cellules cancéreuses circulaient dans leur sang.
En effet, des cellules cancéreuses sont présentes dans le sang dès les toutes premières étapes de la formation des tumeurs invasives, et avant même que celles-ci soient visibles au scanner. Seulement, les tests traditionnels ne parviennent pas à les identifier. « Ces cellules sont très rares – 2 ou 3 pour 50 milliards de cellules, soit 10 mL de sang », explique le Pr Paul Hofman, qui a dirigé l’étude. En outre, ces cellules sont hétérogènes et fragiles, et donc très difficiles à extraire sans biais ni perte.
Filtrer le sang comme dans une machine à café
Pour réussir à isoler ces cellules, les chercheurs ont utilisé un test sanguin novateur, fruit d’une longue recherche menée en France. Aujourd’hui, c’est la société Rarecells qui le commercialise dans le cadre de la recherche, pour la somme de 65 000 euros. Il permet, justement, d’isoler efficacement ces cellules tumorales circulantes en les retenant à la surface d’un filtre.
Ecoutez le Pr Paul Hofman, chercheur à l'Inserm : « Le test fonctionne comme une machine à café où le sang est filtré à pression positive ».
Le cancer éradiqué ?
Parmi la cohorte, cinq personnes avaient des cellules cancéreuses circulantes détectées grâce au test, alors même que l’imagerie ne révélait aucune tumeur. Ces personnes ont été suivies régulièrement. Des très petites tumeurs (nodule) ont commencé à se former au bout de deux ans, en moyenne, après le test sanguin (entre 1 an et 4 ans selon les sujets). L’analyse de ces nodules a confirmé le diagnostic d’un cancer du poumon.
Immédiatement, les médecins ont donc opéré les patients, avec un succès inespéré. En effet, un an après l’intervention, aucun n’a manifesté de signe de récidive… Ce qui laisse penser que chez ces personnes, le cancer a été définitivement éradiqué. De plus, les sujets dont les tests de cellules cancéreuses étaient négatifs n’ont pas développé de nodule par la suite.
Bien entendu, il faudra encore quelques années de suivi pour écarter le risque de récidive. Mais les auteurs de l’étude se montrent enthousiastes. « La détection des cellules cancéreuses via ce test sanguin pourrait jouer un rôle clé dans la précocité de l’intervention chirurgicale, permettant ainsi de viser l’éradication précoce de la localisation primitive du cancer », écrivent-ils.
Une technique qui pose problème
En fait, la technique n’est pas toute neuve. Ce filtre à cellules tumorales est utilisé depuis plusieurs années pour les cas de cancers déjà diagnostiqués. « Plus ces cellules sont nombreuses chez ces patients, plus les risques de métastases sont importants », explique Paul Hofman. Le test permet ainsi d’évaluer l’efficacité des traitements administrés, de mieux cibler les soins et d’éviter les thérapies invasives.
Finalement, la vraie originalité de cette étude consiste à avoir appliqué ce test chez des patients à risques dont le cancer n’est pas encore diagnostiqué cliniquement. Et cela n’est pas sans poser un certain nombre de questions, comme le soulignent de nombreux oncologues.
« Que faire quand on découvre quelques cellules cancéreuses, et que le scanner est normal ? s’interroge Philippe Delaval, pneumologue au CHU de Rennes. Que dit-on aux patients ? D’autant plus que l’on ne sait pas forcément d’où provient le cancer, de quel organe… Alors quels examens proposer aux patients, et à quel rythme ? Et puis, il ne faut pas oublier le stress, sinon l’angoisse, généré par cette découverte chez un patient donné, et qu’il faudra gérer… »
Une découverte incomplète
De fait, si l’on dispose d’un test pour détecter les cellules tumorales circulantes, on ne dispose pas encore d’une méthode fiable pour savoir d’où elles proviennent. Et c’est là toute la limite de cette découverte.
D’ailleurs, du côté de RareCells, on insiste sur ce point. « A la base, le test n’est pas commercialisé pour un diagnostic précoce, explique Patrizia Paterlini-Bréchot, chercheuse à l’Inserm et fondatrice de l’entreprise qui vend le dispositif. D’autres études seront nécessaires pour que l’on puisse véritablement le présenter comme une technique de dépistage ». Et cela peut prendre encore plusieurs années.
Ecouter Patrizia Paterlini-Bréchot, chercheuse à l’Inserm et fondatrice de l’entreprise RareCells : « D'une part, des études plus larges, multicentriques, vont être mises en place. D'autre part, nous allons développer un test pour détecter l'origine des cellules tumorales »
L’éradication du cancer, ce n’est donc pas pour demain. D’autant que, de l’aveu des praticiens, ces études suscitent un engouement tel que l’on a tendance à occulter l’essentiel. A savoir que pour éviter un cancer, mieux vaut compter sur une bonne hygiène de vie que sur un test de dépistage…