Les internes reçoivent le soutien de leurs aînés. Dans un communiqué publié sur son site, l'intersyndicat Avenir Hospitalier explique soutenir « le mouvement des internes, engagés pour l’amélioration de leurs conditions de travail et le respect des injonctions de la Communauté Européenne sur le temps de travail. » Expliquant que « beaucoup de nos revendications se rejoignent et nous comprenons leur colère », Avenir Hospitalier (qui regroupe les syndicats SNPHAR-E, SYNGOF et le SMH) s'interroge : « Est-ce en faisant travailler les jeunes médecins en formation dans des conditions parfois pas loin de l’esclavage que nous leur donnerons envie de travailler avec nous et qu’ils pourront recevoir et assimiler un enseignement de qualité ? »
La grève des internes, appelée par l'Intersyndical des Internes (Isni), a pour objectif de remettre en cause leurs conditions de travail qu'ils jugent désastreuses. Voici leurs principales revendications.
1 hôpital sur 5 n'applique pas le repos de sécurité
Parmi les motifs de la discorde, une étude de la conférence des directeurs d’hôpitaux que l’ISNI a récemment rendue publique, démontrant que malgré les injonctions ministérielles « et les incantations de Marisol Touraine » dixit l'ISNI, le repos de sécurité n’est toujours pas respecté dans 20 % des cas (jusqu’à 70 % en chirurgie). Pourtant, en théorie, l'interne doit bénéficier d'un repos de sécurité à l'issue de chaque garde de nuit d’une durée de 11 heures immédiatement consécutive à la garde.
Ce non-respect du Code de la santé publique est malheureusement entretenu par les médecins hospitaliers puisque dans près de 70 % des cas, le repos de sécurité n'est pas respecté à la demande du responsable du service. Par ailleurs, 57 % des internes n’ayant pas eu de repos de sécurité enchaînent avec une autre journée de travail. « Gare aux erreurs médicales », martèlent ces internes.
A juste titre, si l'on se souvient de l'enquête 2012 de l'ISNI où 15 % des internes interrogés avaient déclaré avoir commis des erreurs médicales de prescription, de diagnostic ou même d’acte opératoire en lendemain de garde. Plus de 39 % d'entre eux estimaient aussi qu’ils en ont probablement réalisées sans l’affirmer avec certitude.
60 heures hebdomadaires minimum
Par ailleurs, l'ISNI alerte depuis longtemps déjà sur la surcharge de travail à l'hôpital dont sont aussi victimes les internes. Contacté par pourquoidocteur, Emmanuel Loeb, président de l'ISNI confie : « Il est plus que temps de prendre des mesures fortes, courageuses et sans appel pour régler la question du temps de travail des internes. » Il propose ainsi une mesure simple à prendre : une semaine de travail commençant le lundi matin et se terminant le vendredi soir. Le samedi matin serait ainsi compté comme une garde, mieux rémunéré », précise-t-il.
Ecoutez Emmanuel Loeb, président de l'ISNI : « Il ne faut pas dire que les internes ne veulent pas travailler. Nous on demande juste à être mis en sécurité avec l'application du repos de sécurité...»
Et sur ce sujet également, les hôpitaux ne sont pas exempts de tout reproche puisque d'après l'enquête menée par l'ISNI en 2012, un interne travaille en moyenne 60 heures par semaine. D'autres études indiquent que plus de 65 % des internes en stage hospitalier travaillent plus de 50 heures hebdomadaires. Et dans certains cas extrêmes, des internes peuvent même faire jusqu'à 90h par semaine pour un stage aux urgences ou en chirurgie par exemple.
La faute aussi à un nombre trop élevé de gardes par mois. En effet, alors que le service de garde normal d'un interne comprend une garde de nuit par semaine et un dimanche ou jour férié par mois, en moyenne, un interne effectue 4 gardes par mois avec des variations importantes entre les disciplines. La gynécologie-obstétrique, l’anesthésie–réanimation et les spécialités chirurgicales sont les 3 disciplines où le nombre de gardes est le plus important (sept dans certains établissements).
« Un déni de justice sociale », pour les internes
Des conditions de travail « illégales » puisque les hôpitaux français doivent normalement respecter (comme pour les praticiens hospitaliers) une durée de travail de 48h hebdomadaires fixée par la directive européenne (2003/88/CE).
Et sur ce sujet, la Commission Européenne surveille de près la France. Dans un avis motivé de mars dernier, elle indiquait très clairement que la France « ne tient pas compte de toutes les heures réellement travaillées (…) alors que la directive précitée exige que (les périodes de gardes supplémentaires et les heures de cours) soient considérées comme du temps de travail. »
Mais malgré cet avertissement lancé par Bruxelles, le texte proposé par le ministère de la Santé aujourd'hui « ne comptabilise pas comme temps de travail toutes les obligations de service des internes. Outre le fait que cette proposition est "illégale", elle risque d’impacter gravement la qualité de la formation des futurs professionnels de santé », déplorait récemment l'ISNI. Le syndicat s'est réjoui toutefois que le temps d'astreinte fasse désormais partie du temps de travail. « Sur ce point là le gouvernement a revu sa copie », précise Emmanuel Loeb.
Vers un exode des internes à l'étranger ?
Enfin, ce dernier tient à alerter les pouvoirs publics sur un phénomène récent, celui des internes français qui partent exercer la médecine à l'étranger pour avoir des meilleures conditions de travail. Le président de l'ISNI cite à ce titre le Canada ou la Suisse vers qui les futurs médecins commencent à regarder. « C'est un phénomène encore mineur mais ça risque de prendre de l'ampleur dans les années à venir si rien n'est fait en faveur des internes. Surtout qu'il n'y a pas de barrière de la langue », alerte Emmanuel Loeb.
D'ailleurs si rien ne change, « d’autres mobilisations plus longues sont à prévoir dans les semaines à venir », conclut Emmanuel Loeb.
Ecoutez Emmanuel Loeb : « C'est un métier que l'on fait parce qu'on a un attrait particulier pour le fait de prendre en charge la santé des personnes. Mais aujourd'hui on craint un exode des médecins français pour aller exercer ailleurs...»