Gwyneth Paltrow et Novak Djokovic ont un point commun : les deux célébrités ont banni le gluten de leur alimentation. Le tennisman serbe est intolérant au gluten. La star hollywoodienne, elle, en a fait un régime miracle. Des milliers de personnes leur ont emboîté le pas. Depuis deux ou trois ans, la vague a atteint la France : le chiffre d’affaire global de ce secteur a triplé entre 2009 et 2013. Selon l’Association française des Intolérants au gluten (Afdiag), en 2013, 80 marques proposaient des produits dédiés à ce public… soit huit fois plus qu’en 2009. Face au phénomène, pourquoidocteur a mené l’enquête sur cette tendance lourde… mais pas sans risque pour la santé.
« On me pose la question plus souvent »
La régime sans gluten s’adresse d’ordinaire à un public particulier : les malades coeliaques (intolérance au gluten), les allergiques ou les hypersensibles au gluten. Lorsqu’elles ingèrent des aliments contenant du gluten, ces personnes souffrent de symptômes particuliers. Une seule solution : bannir cette fraction protéique de l’alimentation.
La maladie coeliaque, c’est quoi ? La maladie coeliaque est une maladie digestive, qu’on appelle aussi intolérance au gluten. Le corps développe des anticorps contre cette fraction protéique. En réaction, les villosités intestinales, qui servent à absorber les nutriments, s’atrophient. Cela entraîne des carences d’absorption, une perte de poids, des diarrhées. |
Depuis quelques années, un autre public, en bonne santé, s’est emparé de cette hygiène alimentaire. Les nutritionnistes s’accordent à dire que le nombre de consultations à ce sujet augmente. « J’observe qu’on me pose la question plus souvent , reconnaît Marie-Eve Belmont, nutritionniste à Paris contactée par pourquoidocteur. Ce sont des gens qui ont entendu parler du sans gluten par des amis, des proches, mais aussi souvent des ostéopathes, des naturopathes… et pas forcément des nutritionnistes. »
L’enquête INCA de l’Agence de sécurité sanitaire (Anses), qui étudie les comportements alimentaires des Français, reflète aussi cette tendance lourde. INCA 2 (2006-2007) n’évoquait pas le régime sans gluten. Mais, selon nos informations, les participants à INCA 3, toujours en cours, ont signalé spontanément être adeptes de cette alimentation.
Ecoutez le Dr Arnaud Cocaul, médecin nutritionniste à Paris : « Beaucoup de gens font cela dans l’idée de maigrir, d’autres pensent qu’arrêter le gluten va régler leurs douleurs. »
« On est très ambivalent vis-à-vis de l’aliment »
Le « gluten free » est sans conteste pris dans la tendance des régimes « sans », et il reflète une perte de repères par rapport à l’alimentation. « Il y a un phénomène à la fois social, médical et psychologique », analyse Bernard Waysfeld, psychiatre à Paris . « Sur le plan social, on est très ambivalent vis-à-vis de l’aliment : on a perdu sa traçabilité, nous sommes envahis par le principe de précaution, on mange des poissons carrés, des oeufs en tube. A partir du moment où on ne sait pas clairement ce qu’on mange, il y a un malaise général. »
Ecoutez le Dr Bernard Waysfeld, psychiatre à Paris : « Il y a trois peurs alimentaires : la peur de l’abondance, la peur de l’empoisonnement, au coeur du gluten, et la peur de manquer. »
Le Dr Waysfeld incrimine également les médecins médiatiques qui, avec et « leurs régimes miracles » peuvent avoir « des attitudes terroristes et dangereuses ». Le Dr Arnaud Cocaul, lui, fustige des ouvrages comme celui de celui de Jean Seignalet (L’alimentation ou la Troisième médecine), de Gwyneth Paltrow (It’s All Good) ou même de Novak Djokovic (Service gagnant. Une alimentation sans gluten pour une parfaite forme physique et mentale). « C’est du marketing groupé », martèle-t-il. Ce membre du think tank ObésitéS ne mâche pas ses mots. Ce sont des « vedettes en mal de reconnaissance qui ne connaissent rien à la nutrition. Elles font un bouquin et tous les aficionados le lisent et disent qu’elle a raison. » Le discours que le médecin adresse aux patients n’est pas plus tendre.
Ecoutez le Dr Arnaud Cocaul: « Si vous enlevez le gluten, il faut partir du principe que c’est à vie. Vous n’allez pas nous dire que vous êtes intolérant au gluten les jours pairs, tolérants au gluten les jours impairs. »
De son côté, Marie-Eve Belmont adopte aussi une posture scientifique face aux mythes. « On sait que depuis une dizaine d’années, les produits manufacturés ou le pain contiennent plus de gluten qu’avant. Mais c’est surtout l’excès qui pose problème : les gens qui me disent " Je me sens mieux depuis que j’ai arrêté le gluten " mangeaient deux baguettes par jour, beaucoup de pâtes, des pizzas… Comme ils font plus attention, ils se sentent mieux. Le conseil que je leur donne, c’est plutôt de manger équilibré. »
« Il y a l’effet marketing », admet le Dr Jean-Christophe Létard, président du CREGG (Club de Réflexion des cabinets et Groupes d’Hépato-Gastroentérologues) Mais cet hépato-gastro-entérologue (Poitiers) nuance: « Les gens ne sont pas idiots. S’ils sentent que ça va mieux, ils continuent. ». Pour lui, « le régime sans gluten peut être un test thérapeutique. Ill faut essayer de rendre service aux gens, éliminer les maladies qui pourraient être dangereuses, puis essayer d’améliorer les choses. Si on veut rendre service, il vaut mieux s’orienter vers des conseils naturopathiques simples. »
Ecoutez Jean-le Dr Christophe Létard, hépato-gastro-entérologue à Poitiers : « On a presque 30 % des gens qui vont mieux spontanément. »
« Ça a incité les industriels à proposer des produits sans gluten »
Sur le plan intestinal propre, le régime sans gluten ne bouleverse pas la flore intestinale, précise le Dr Létard. En revanche, sur le plan nutritionnel, ce changement d’hygiène alimentaire est à prendre avec précaution. Il est notamment important de substituer les aliments à base de gluten par d’autres produits certifiés sans gluten, ou équivalents, exactement comme une personne atteinte de la maladie coeliaque. Sans cela, le déséquilibre alimentaire peut avoir des conséquences lourdes.
Ecoutez le Dr Arnaud Cocaul : « Ce sont des malabsorptions de certaines vitamines, de certains minéraux. Cela peut avoir des conséquences sur l’immunité… »
Le tableau du « sans gluten » n’est pas entièrement noir. Cette tendance à bannir le gluten de son alimentation aura au moins eu le bénéfice de sortir les intolérants de l’ombre… et démocratiser leur alimentation. Quand on sait que les produits sans gluten sont deux à cinq fois plus chers que leurs équivalents standards, c’est un point non négligeable.