En Ouganda, la lutte contre le Sida est l’histoire d’un succès qui tourne mal. Le pays est frappé de plein fouet par l'épidémie dans les années 1980 : le nombre d'infections est tellement massif qu’en 1990, l'Ouganda - petit état grand comme la moitié de la France - est le pays qui compte le plus de séropositifs d’Afrique* : 1 100 000 Ougandais sont alors porteurs du virus du Sida, soit près de deux fois plus que le second pays de l’époque, la Tanzanie, qui compte alors 660 000 personnes séropositives.
Très vite, l'Etat se mobilise, sans attendre l'aide des pays occidentaux : grâce à une importante campagne de prévention ainsi que la mise en place du programme ABC, pour Abstinence - Be Faithful (soyez fidèle) – Condoms (préservatifs), l’Ouganda va petit à petit combattre l’épidémie. En 1990, 170 000 personnes sont infectées par le VIH tous les ans. Ce taux va baisser graduellement jusqu’à atteindre son plus bas niveau en 1998-1999 : 80 000 personnes par an contractent alors le virus du Sida. Si on assiste effectivement à une décroissance importante du taux de contamination, il reste encore beaucoup de travail. Pourtant, au tournant du 21e siècle, la situation va s’aggraver à nouveau. Le pays qui s’enorgueillissait d’être un porte-étendard de la lutte contre le Sida en Afrique voit sa politique de santé publique remise en cause : entre 2000 et 2011, le nombre d’infections par an va plus que doubler. L’Ouganda retrouve ses taux du début des années 1990.
Abandon de la prévention
Comment expliquer ce retour en arrière ? Il y a tout d'abord le basculement d’une stratégie du tout prévention à la stratégie du tout médicament. Si les premiers antirétroviraux (ARV) apparaissent en 1996, ils sont encore payants et inabordables pour beaucoup d’Ougandais « A partir de 2003, les gouvernements américains et ougandais ont permis à beaucoup de personnes d’avoir accès aux ARV gratuitement. Cependant les investissements dans la prévention n’ont pas suivi », explique le docteur Emmanuel Luyirika, directeur exécutif de l’African Palliative Care Association, et qui a travaillé sur le VIH ces 20 dernières années, à la fois à la tête de programmes mais aussi en tant que clinicien, aussi bien en Ouganda qu’en Afrique du Sud.
Avec l’arrêt de la prévention, les gens ont commencé à avoir moins peur, donc à moins se protéger : les infections sont remontées en flèche.
Ecoutez Stella Kentutsi, directrice de l’association Nafophanu : « Les gens n’ont plus peur. Ils se disent : "si je suis contaminé, je prendrai des ARV et tout ira bien". Auparavant, lors de chaque discours, chaque célébration, le président Museveni parlait du VIH. A la télé, à la radio, les messages étaient permanents ».
A l'abandon de la prévention s'ajoute un second problème : les ARV ne sont pas disponibles partout. « Le fait de ne pas couvrir tout le monde est un danger : ceux qui ne sont pas traités font courir davantage de risques aux autres », analyse le docteur Luyirika. En effet quand les personnes sont sous traitement, le risque de transmettre le virus devient infime.
Ecoutez le Dr Emmanuel Luyirika, directeur exécutif de l’African Palliative Care Association : « Tout ceux qui devraient être traités ne le sont pas : en Ouganda, seulement 50% des séropositifs reçoivent un traitement anti-rétroviral ».
Enfin le rôle des Eglises, très puissantes dans ce pays comme dans toute l’Afrique de l’Est, est à souligner. Certaines d'entre elles ont en particulier très souvent appelé leurs ouailles à ne pas user du préservatif et à se concentrer sur l'abstinence, et dans une moindre mesure la fidélité. Des mesures peu réalistes : si l'usage du préservatif a baissé, l'abstinence et la fidélité n'ont pas augmenté, ce qui multiplie les risques d'infections. En Ouganda, avoir un side-dish, c'est-à-dire une maîtresse, est très répandu, là encore augmentant les risques de contracter la maladie. Surtout ces messages, en contradiction avec les recommandations officielles, ont créé de la confusion au sein de la population sur les effets réels du virus, en particulier au sein de la population rurale, très nombreuse à s'exiler dans les zones urbaines depuis quelques années.
Une loi contre-productive
Après près de 10 ans d’inaction, le gouvernement s'est finalement réveillé en 2011 et a mis en place des mesures pour infléchir le mouvement : il a en particulier relancé la prévention, et a mis en place un programme pour éviter la contamination de la mère à l'enfant : entre 2011 et 2012, le nombre d'infections de ce type est passé de 32 000 à 15 000. De plus le nombre d'infections au VIH de façon globale a lui aussi décliné puisqu'elles sont passé de 170 000 en 2011 à 140 000 en 2013.
Cependant, ces progrès sont fragiles et l'Ouganda pourrait retrouver ses vieux démons à cause d'une loi, le HIV Prevention and Control Act of 2014, votée en mai dernier et signé par le président en juillet. Très décriée par les personnels de santé et les associatifs militant pour les droits des séropositifs, elle stipule, entre autres, l'obligation à toute personne séropositive de dévoiler son statut sérologique à son entourage, aussi bien personel que professionel. Si le patient refuse, son médecin est dans l'obligation de le faire à sa place. La loi prévoit également une peine de dix ans de prison pour quiconque est reconnu comme avoir transmis de manière intentionnelle le VIH à son partenaire.
Ecoutez le Dr Christine Nabiryo, la directrice exécutive de TASO, une organisation ougandaise de soutien aux personnes atteintes du VIH fondée en 1987. C’est une des premières organisations africaines à avoir été créée en réponse à l’explosion du Sida en Afrique et aujourd’hui une des plus importantes du continent : « Dans cet acte, il y a des clauses que le législateur doit revoir : par exemple le fait que vous soyez obligé de révéler votre séropositivité et que si vous le ne faites pas le personnel de santé doive le faire à votre place. »
Pour le Docteur Christine Nabiryo, cette loi va entraîner une chute dramatique du nombre de dépistage. Non testés, les gens ne pourront pas avoir accès aux ARV, ce qui devrait augmenter le nombre de malades graves et donc de décès mais aussi une possible explosion des infections puisqu'une personne mal ou pas soignée est bien plus contagieuse qu'une personne sous-traitement. En 2013, 63 000 personnes sont décédées du Sida en Ouganda : c’est le 7e pays le plus touché du monde, derrière le Nigéria, l’Afrique du Sud ou encore l’Inde. Et la situation ne risque pas de s'arranger de sitôt.