Le diagnostic précoce, tout le monde l'attend. Poser un nom sur des symptômes le plus tôt possible, c’est l’assurance d’enrayer le cours de l’histoire. Et les malades d’Alzheimer ainsi que leurs proches ne font pas exception à la règle. Mais, ce souhait serait inatteignable. C’est en tout cas l’avis du Collège national des généralistes enseignants (CNGE). A l’aube du congrès de médecine de générale qui vient de se dérouler, le CNGE a fait savoir que diagnostiquer la maladie d’Alzheimer avant d’avoir atteint le stade de la démence n’était ni possible, ni pertinent. En clair, impossible d’appliquer les recommandations officielles de la Haute autorité de santé. Publiées en décembre 2011, elles demandent aux médecins généralistes de poser un diagnostic précoce, notamment en cas de troubles de la mémoire qui peuvent être des symptômes de troubles cognitifs légers ou de démence.
Les généralistes enseignants disent non pour deux raisons :
- Le diagnostic précoce est très délicat à poser. « Une fois que l’on a fait le diagnostic de troubles cognitifs légers, toute la difficulté consiste à essayer de savoir si c’est la maladie d’Alzheimer ou une autre démence », indique le Pr Pierre-Louis Druais, président d’honneur du CNGE. Par ailleurs, le Collège souligne que la Haute autorité de santé ne précise pas les critères diagnostiques que les médecins doivent utiliser. Un flou qui, selon les généralistes, pourrait mener à faire des bilans invasifs, et donc lourds pour le patient.
- Le diagnostic précoce n’améliorerait pas la qualité de vie des patients. Aucun traitement, aucun médicament n’a actuellement fait ses preuves dans la maladie d’Alzheimer. Depuis octobre dernier, leur effet a été jugé faible par la Commission de transparence de la HAS. Pour le CNGE, la boucle est bouclée : le diagnostic précoce n’a donc pas d’impact positif pour le patient.
Pr Vincent Renard, président du Collège national des généralistes enseignants : « Porter un tel diagnostic induit un stress. Il faut donc bien mesurer son intérêt pour le patient. »
Du côté des patients et de leurs familles, cette position est loin de faire l’unanimité. L’association France Alzheimer, qui a d’ailleurs participé à l’élaboration des recommandations de la HAS, persiste et signe.
Le diagnostic précoce doit être proposé, et ce pour trois raisons.
- Toute personne qui a une maladie a le droit de savoir. Un droit inaliénable, même si aucun traitement ne la fait réellement reculer aujourd’hui. « Si l’on avait adopté cette position à la pathologie cancéreuse, nous n’aurions pas progressé, assène Michèle Micas, vice-présidente de France Alzheimer. Il y a 30 ans, pour bon nombre de cancers, nous n’avions quasiment aucun traitement ». Cette annonce, si dure à entendre soit-elle, doit aussi aider la personne à prendre des décisions pour son avenir.
Michèle Micas, vice-présidente de France Alzheimer, « les décisions patrimoniales, par exemple, doivent être prises en toute lucidité ».
- Si les médicaments ont un effet faible, il n’est pas nul. Le Pr Gilles Bouvenot, président de la commission de transparence de la HAS, a précisé que « nous sommes actuellement dans l’incapacité de prédire quels seront les patients répondeurs, et quels seront ceux qui ne répondent pas. Par ailleurs, nous savons que si cet effet existe, faible, il concerne un certain ralentissement, au mieux une certaine stabilisation du déclin cognitif mais seulement pour quelques mois ».
-Beaucoup d'approches thérapeutiques non médicamenteuses se développent. De l’orthophonie des activités de sollicitation de la mémoire… autant d’outils dont les patients non diagnostiqués ne peuvent évidemment pas bénéficier. Pour Michèle Micas, c’est rien d’autre qu’une perte de chance.
Patients et médecins campent donc sur leurs positions. Les malades réclamant le droit de savoir, les médecins le droit de s’abstenir en cas de doute. Pourquoi une telle opposition ? Les médecins, formés encore trop souvent à guérir plus qu’à prendre en charge, vivent mal le fait d’être mis en échec par la maladie d’Alzheimer. Pour le CNGE, ce refus de poser un diagnostic précoce est bien au contraire posé au nom des patients. La seule solution pour mettre d’accord généralistes et patients, c’est de mener des recherches sur l’intérêt d’un diagnostic précoce. C’est ce que réclame le CNGE.
Pr Vincent Renard: « On a tendance à surévaluer l’intervention du médecin ».
Première publication le 25 juin 2012