« La décision de Marisol Touraine de reporter l'examen au parlement du Projet de loi de santé au printemps 2015 n’est pas suffisante pour sauver la médecine générale. » C'est le message lancé ce week-end par le syndicat de généralistes MG France, mobilisé depuis plusieurs mois contre ce texte.
Pour ces médecins, ce délai supplémentaire que se donne la ministre de la Santé ne doit permettre rien d'autre que la réécriture quasi complète du texte. Les sujets de discorde sont en effet nombreux. Dans un entretien accordé à pourquoidocteur, le Dr Claude Leicher nous raconte les coulisses de ces négociations à l'aube de la grève des cabinets de médecins qui débutera le 23 décembre.
Marisol Touraine a-t-elle cédé sur certains points de désaccord ?
Dr Claude Leicher : Sur la vaccination chez les pharmaciens, elle nous a dit qu'elle voulait bien reconsidérer le problème. Les pharmaciens se sont mobilisés très fortement lorsqu'on leur a dit qu'on allait peut-être vendre certains médicaments dans les supermarchés. Et bien moi je dis à mes collègues pharmaciens qu'il n'est pas question de voir continuer à se démanteler la médecine générale. S'ils franchissent ce pas, nous boycotterons les officines qui font notre métier.
Je trouve ça inadmissible qu'on enlève ce geste au médecin, et qu'on le donne au pharmaciens. Tout le rôle de conseil ou de prévention de l'intérêt de telle ou telle vaccination, c'est le médecin qui le fait. Toucher à cette prérogative du médecin, c'est toucher à l'une de nos missions essentielles en terme de santé publique.
Sur l'affaire du tiers payant généralisé a-t-elle lâché du lest ?
Dr Claude Leicher : Sur l'avance des frais (chez tous les médecins) qui serait généralisée à tous les Français, notre position est simple. Tout d'abord, nous ne voulons pas de cette obligation pour le médecin. Deuxièmement, nous ne voulons pas qu'elle soit mise en place dans le système actuel car cela serait trop compliqué pour le praticien (25 régimes obligatoires, plus de 500 régimes complémentaires, NDLR). Enfin, nous ne voulons pas d'une vérification préalable des droits car nous avons autre chose à faire que de l'administratif. Surtout que je rappelle que deux tiers des médecins n'ont pas de secrétariat sur place dans leur cabinet.
Pour cette raison, nous voulons les garanties suivantes : il faut que la loi précise que si c'est le régime obligatoire qui nous paye, ce dernier ait une obligation de nous verser l'argent. Et lorsqu'il ne nous verse pas l'argent, à l'identique d'une banque, il doit nous signaler ce qu'il ne nous a pas versé. De telle sorte que le médecin n'ait pas à regarder la totalité de ces actes pour vérifier que tout a été payé. On inverse la charge de la preuve.
Sur ce sujet encore Marisol Touraine dit nous entendre. Mais en réalité le dossier ne bouge pas.
Le loi de Santé menace-t-elle vraiment la liberté d'installation des libéraux ?
Dr Claude Leicher : Au lieu de laisser les professionnels de santé s'organiser, le texte dit que les Agences Régionales de Santé (ARS) créeraient et définiraient les territoires de proximité. Mais aussi qu'il y aurait une commission en leur sein qui regarderait les besoins de santé et apprécierait les modalités de la réponse éventuelle à donnner à ces besoins de santé. C'est un modèle d'administration étatique dans lequel les médecins qui répondent aux besoin de la population, soit ne sont pas convoqués, soit leur avis n'intéresse pas.
Bref, la liberté d'installation des médecins n'est pas explicitement menacée mais ça y ressemble. En tout cas, ce texte ne va pas rendre attractive la médecine générale alors que le nombre de généralistes est déjà en chute libre. Leur densité a baissé de plus de 10 % en dix ans. Aujourd'hui, si on rajoute des contraintes d'installation ce sera la mort de notre profession. Enfin, on s'inquiète d'autant plus que les ARS, des députés ou encore des représentants d'usagers demandent de mettre fin à ce droit qui constitue pourtant l'un des socles de la médecine de ville.
Si Marisol Touraine ne cède pas, envisagez-vous de reconduire la grève ?
Dr Claude Leicher : Je dirais même que c'est certain car le premier mot d'ordre de cette mobilisation de fin d'année vient de l'appel de MG France (le 2 octobre). De plus, nous avons aussi une autre date symbolique de grève le 6 janvier déjà prévue et maintenue. Par ailleurs, si rien n'avance nous reproduirons tout au long de l'année 2015 ce type d'action.
Enfin, j'avertis la ministre : si elle ne lève pas sa menace, le secteur 1 (sans dépassements d'honoraires) pourrait disparaître. On se retrouverait dans ce cas comme avant les conventions nationales, c'est-à-dire avec des honoraires que les médecins fixent eux-mêmes librement. Economiquement les généralistes ne tiennent plus le coup. A ce titre, nous voulons aussi que la ministre mette fin à l'avenant 19 qui prive la médecine générale de la consultation à 25€. Passer rapidement à ce tarif est indispensable pour que nous remplissions par exemple les obligations qui nous sont imposées pour l'accessibilité des cabinets médicaux.
Enfin, la viste à 33 euros (qui date de 2002) doit passer à 56 euros. Car contrairement à avant, toutes les visites aujourd'hui sont longues pour des patients âgés, polypathologiques, et en perte d'autonomie. Bref, en gros, nous ne voulons plus être payés en dessous des autres (des spécialistes par exemple). Si ce n'est pas le cas, bientôt, plus aucun médecin généraliste ne se déplacera.
Pour vous faire entendre envisagez-vous d'autres modes d'actions ?
Dr Claude Leicher : Bien sûr, tout est ouvert. La base des médecins nous fait des tas de propositions. Le débat est ouvert dans la profession aujourd'hui sur la meilleure manière de montrer notre détermination. Pourquoi pas une grève de la télétransmission, des arrêts de travail, ou encore une grande manifestation ?
Mais pour commencer, j'appelle tous les généralistes à se mobiliser massivement en cette fin d'année.