Substituts aux opiacés, anxiolytiques, somnifères... En 2013, le recours aux médicaments en dehors de leur cadre thérapeutique a clairement augmenté sur l’ensemble du territoire. C’est le résultat de l’analyse TREND (Tendances récentes et nouvelles drogues), menée par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) dans 7 grandes villes françaises (Bordeaux, Lille, Marseille, Metz, Paris, Rennes, Toulouse). La tendance est générale, mais les types de médicaments détournés varient selon la localisation.
En France, le boom des substitutifs
A l’échelle nationale, l’OFDT note « la diffusion de l’usage de kétamine et le recours croissant au sulfate de morphine (Skenan). » Si les médicaments détournés sont plus « populaires », c’est aussi car ils jouissent d’une bonne réputation grâce à leur statut de médicament : dosage en principe actif sûr, bonne maîtrise des effets secondaires… Le détournement de sulfate de morphine concerne particulièrement le Sud-ouest, tandis que Marseille est davantage concernée par les médicaments psychotropes (Valium, Seresta…). Dans l'ensemble, les recours aux médicaments anxiolytiques explosent dans les populations défavorisées, tandis que la kétamine (anesthésiant) est plutôt consommée dans le milieu festif alternatif.
Plusieurs facteurs expliquent le recours croissant aux médicaments détournés. La crise économique est le principal responsable, analyse l’OFDT. Elle a entraîné « la dégradation des conditions de vie des usagers à l’insertion sociale fragile », « la réorganisation de l’offre des produits » (fractionnement des doses), mais aussi « l’émergence ou le retour de certaines consommations » comme les médicaments détournés. La paupérisation des usagers est clairement une tendance de fond : ils se tournent vers des produits moins coûteux. « Ainsi, les reventes de médicaments se multiplient pour répondre à une demande en augmentation et les prescriptions d’Artane (trihexyphénidyle) - dont le détournement marque dans la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, la grande précarité - semblent reprendre », note l’OFDT. La baisse en qualité des produits « traditionnels », l’héroïne principalement, pousse les consommateurs à adopter des formes substitutives, comme le Skenan ou le Subutex.
L'effet "crise"
A Bordeaux par exemple, le détournement d'usage du sulfate de morphine (Skenan) est très marqué depuis 2012. « L’effet antalgique est très recherché, tout comme l’assurance d’un dopage en principe actif, garantissant les effets attendus », détaille l’OFDT dans sa synthèse. Un argument d’autant plus valable que l’héroïne disponible dans la rue est d’un qualité de plus en plus médiocre.
A Marseille, les médicaments non opiacés sont de plus en plus recherchés par les populations précaires. L’arrêt de la commercialisation du Rohypnol (flunitrazépam, somnifère connu comme la « drogue du violeur ») et l’accès limité au Rivotril (clonazépam, anxiolytique) ont bouleversé le marché. Deux médicaments ont semble-t-il pris le relais : le Séresta 50 (oxazépam, anxiolytique) et le Valium (diazépam, anxiolytique). « Les effets recherchés (défonce, pas inhibition) sont liés à la grande précarité et notamment à la volonté d’affronter l’univers de la rue », commente l’OFDT, qui remarque aussi des cas d’automédication pour traiter des problèmes psychologiques voire psychiatriques.
A Rennes, la kétamine, classique dans les milieux festifs, est de plus en plus demandée par les fractions marginales du milieu alternatif : squats, structures de réduction des risques… Dans cette région, l’OFDT remarque une représentation particulière des jeunes en rupture et des « carencés affectifs. »
Metz, des jeunes marginaux au coeur du système
« La Moselle est connue comme le premier département français pour l’importance de la vente de boîtes de Subutex », souligne l’OFDT. Le milieu festif est plus attiré par la kétamine. Mais ce sont surtout les jeunes marginaux qui attirent l’attention de l’Observatoire : ils se démarquent par un mésusage de la buprénorphine haut dosage ou de sulfate de morphine (Skenan).
Du côté du marché noir, le Valium est de plus en plus consommé, et le Séresta 50 est fréquemment détourné. Là encore, « les consommateurs se recrutent parmi les gens désocialisés, sans abri ou hébergés dans des foyers. Il est souvent perçu comme "le médicament du pauvre." »
Rennes, un public plutôt jeune
Deux marchés se distinguent à Rennes. Le Skenan est relativement disponible sur prescription ou dans la rue, selon les données. Mais c’est surtout un public « amateur » (donc connaisseur) qui le consomme.