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Un rescapé de la tuerie de Charlie hebdo témoigne

Attentats : comment les victimes sont prises en charge

Par Bruno Martrette avec Cécile Coumau et Cécile Coumau

3,7 millions de personnes ont défilé dimanche en France pour dire non au terrorisme et pour rendre hommage aux victimes. Les rescapés de ces attentats font l'objet d'une prise en charge particulière. 

REMY DE LA MAUVINIERE/AP/SIPA

Dimanche 11 janvier 2015 restera un jour historique pour l'histoire de la France. Ce jour-là, au moins 3,7 millions de manifestants étaient présents dans les rues de France pour défiler contre le terrorisme. L'occasion aussi de rendre hommage aux 17 victimes des frères Kouachi et d'Amedy Coulibaly. Mais comment sont prises en charge les familles, traumatisées par le décès brutal d'un proche, et les nombreux blessés qui ont frôlé la mort ? Pourquoidocteur fait le point sur leur prise en charge médicale. 


Lutter contre les troubles ultérieurs
Les cellules d'urgence médico-psychologique (CUMP) ont pour mission de se présenter le plus tôt possible sur les lieux de l'attentat avec le SAMU. « Non pas pour faire de la psychothérapie », indique immédiatement le Dr Gérard Lopez, psychiatre. Le président de l'Institut de victimologie de Paris explique que « cette prise en charge immédiate sert plutôt à renseigner les victimes sur la loi. Lorsqu'ils ont besoin, par exemple, d'arrêts de travail. Le rôle des CUMP est de faire de la psychoéducation en montrant à ces gens que la société est de leur côté et qu'elle prend en compte ce qu'ils ont vécu », rajoute-t-il.
A ce titre, le Dr Gérard Lopez précise qu'il ne s'agit pas de traitements mais plutôt d'une intervention qui a pour but « de lutter contre certains phénomènes psychologiques qui vont aggraver le traumatisme ou créer des troubles ultérieurs. »
Sur ces derniers, ce spécialiste les décrit comme une « sorte de magnétoscope surchargé d'images, de sensations, de paroles. Il va se remettre en marche en permanence. »

Ecoutez le Dr Gérard Lopez, psychiatre : « Il y a des mécanismes psychologiques qui font que la victime est complètement déconnectée de la réalité... »


Agir vite
Par ailleurs, lors de cette prise en charge, tous les spécialistes n'ont qu'une idée en tête : aller le plus vite possible. Car la recherche scientifique a montré  que quand on est très déconnecté, plus la déconnexion est prodonde et dure dans le temps, plus les troubles psychologiques vont être importants.
Le Dr Lopez mentionne des études menées aux Etats-Unis et à Lille où des chercheurs ont pu montrer que « quand on prescrivait du propranolol (bêta-bloquant) après un évènement traumatique, les conséquences étaient beaucoup moins importantes. Il lutte contre l'envahissement d'adrénaline et de cortisol. Cette réaction a un effet apaisant sur le stress. »
Laurent Léger, grand reporter à Charlie Hebdo, qui a échappé à la fusillade des frères Kouachi, raconte : « Pour ceux, comme moi, qui en sont sortis indemnes les pompiers nous ont d'abord chouchouté. Pas de questions, ils nous ont juste redonné à boire et à manger. Ensuite, on est monté dans un fourgon du SAMU qui nous a amené à l'Hôtel-Dieu. Là-bas, nous avons été installés dans la grande salle et là des médecins sont venus se présenter et nous ont fait un check-up léger. »

Ecoutez Laurent Léger, grand reporter à Charlie Hebdo : « Il y avait des médecins psychiatres lors des premières consultations médicales. Sans doute pour repérer ceux qui étaient le plus en demande de soins. »


Penser au spécialiste de la psycho-traumatologie
Dès lors, on comprend que parmi les les médecins qui interviennent en urgence, il y a à chaque fois beaucoup de psychiatres. Leur objectif : faire une évaluation rapide de chaque victime. Ils sont là pour rassurer les victimes, notamment sur les cauchemars et les bruits qu'ils peuvent entendre en permanence (bruit de kalachnikov, par exemple). « Il faut les voir au moins 1 fois par semaine pendant 3 semaines », conseille le Dr Gérard Lopez.
C'est d'ailleurs ces spécialistes qui suivent actuellement les victimes de Charlie Hebdo.
« Depuis le jour de l'accident, nous sommes en contact avec un psychiatre de l'AP-HP », confie Laurent Léger. Il rajoute que ce médecin « a laissé ses coordonnées et les gens sont libres de le contacter ou pas. Enfin, je sais qu'une ligne d'écoute dédiée à ces tragédies existe, mais je n'ai pas encore donné suite. Les journalistes de Charlie sont en effet tous très occupés à boucler le prochain numéro du journal. Nous nous sommes promis qu'il sera dans les kiosques ce mercredi », reconnaît-il.  
Mais si ces troubles perdurent (plus de 15 jours-3 semaines) ou ont tendance à augmenter, ces psychiatres de l'urgence vont les inciter à consulter un spécialiste de la psychotraumatologie. Ce dernier mettra alors en place un autre traitement.

Un afflux de blessés difficile à gérer
A ce sujet, le Dr Gérard Lopez rappelle que la cellule d'urgence ne doit pas précipiter le travail. Même s'il pense aussi que la France manque de consultations spécialisées en psychotraumatologie. La plupart sont à Paris (hôpital Tenon, 20e, Institut de victimologie, 17e). « On pourrait déjà être submergé suite aux différentes attaques perpétrées ces derniers jours », souligne-t-il.
De plus, d'après ce psychiatre, « la France manque encore d'une réelle organisation dans la prise en charge des personnes traumatisées. Il n'existe pas de recommandations officielles. Et on manque de moyens. On devrait par exemple développer les consultations de psychotraumatologie. Et pour les patients qui vont voir des psychologues formés, ces consultations devraient être remboursées. Or ce n'est toujours pas le cas. »

Un risque de dépression
Un constat malheureux à l'écoute des derniers mots de Laurent Léger : « la psychiatre de l'Hôtel-Dieu m'a déjà prévenu que je risquais d'avoir une dépression post-traumatique. Elle m'a conseillé des médicaments pour dormir, et de consulter un médecin pour être suivi et parler des évènements. C'est ce que je ferais à partir de demain », promet-il.
Dans l'attente, ce grand reporter pense que les interview qu'il donne l'aident à aller mieux. « J'ai craqué et beaucoup pleuré le jour de la tragédie », conclut-il.