« Une stratégie nationale pour rebâtir un système de santé véritablement accessible et performant », c’est l’engagement pris par Jean-Marc Ayrault hier dans sa déclaration de politique générale. Au cœur du projet du gouvernement : l’hôpital et en particulier l’hôpital public. Endetté, saturé, il semble plier sous les dysfonctionnements du système et la désertification médicale. « Sortons du misérabilisme, réclame Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France, structure qui regroupe les établissements de santé du secteur public. L’hôpital ne faillit pas à sa mission de service public et il porte en lui les marges d’économies indispensables et les germes de la médecine de demain ». Entretien.
pourquoidocteur : La dette des hôpitaux atteint près de 31 milliards d’euros en 2011. L’hôpital public est-il au bord du naufrage financier ?
Frédéric Valletoux : Absolument pas ! Les hôpitaux publics ont relancé l’investissement pour pouvoir se moderniser et s’adapter à l’évolution de la médecine. C’était indispensable mais cela a en effet contribué à leur endettement. Les déficits de gestion sont en net recul, ils sont passés en quelques années de 400 à 180 millions d’euros.
Les hôpitaux sont gérés, ce ne sont pas des guichets de distribution d’argent public sans contrôle. 60% des hôpitaux ont un budget à l’équilibre sinon excédentaire. Il faut sortir de cette image misérabiliste de l’hôpital public, il gagne des parts d’activité par rapport au privé. Aujourd’hui, 54% des actes chirurgicaux sont réalisés à l’hôpital contre 45% il y a quelques années. C’est le signe de la reconnaissance par les Français de la qualité de la médecine qui y est pratiquée par des professionnels dévoués et de leur attachement profond à ce service public ouvert à tout heure du jour ou de la nuit.
« Les hôpitaux ne sont pas des guichets de distribution d’argent public sans contrôle ».
Les marges de manœuvre financières pourraient venir de coupe dans les effectifs de la fonction publique hospitalière ?
Frédéric Valletoux :Attention à ne pas faire de l’hôpital la variable d’ajustement des effectifs de la fonction publique. La santé est une priorité pour les Français. Bien sûr, il n’est pas question de sanctuariser par principe les effectifs hospitaliers. Il y a des marges de réorganisation. Il faut pousser plus loin les coopérations entre établissements, qui permettent, à l’échelon d’un territoire, de répartir les spécialités entre différents hôpitaux. Mais nous manquons déjà de 10 000 médecins à l’échelle nationale, de 4000 infirmières rien qu’en Ile de France, d’aides-soignants… Des réductions drastiques de personnels seraient un coup fatal à l’hôpital, je ne pense pas que le gouvernement s’engage dans cette direction.
« Des réductions drastiques de personnels seraient un coup fatal à l’hôpital ».
Mais alors où sont les possibilités d’économies ?
Frédéric Valletoux : Sur les actes inutiles, c’est le grand chantier à mener ! Par habitude, de nombreux actes qui ne sont plus pertinents continuent à être prescrits. Il y a là de véritables marges d’économie.
« Les radios du crâne ne servent plus à rien mais des milliers sont encore faites chaque année »
Prenons un autre exemple, les césariennes. En moyenne, 18% des accouchements se font par césarienne. Est-il normal que ce taux monte à 40% dans certains établissements ? C’est qu’il y a un problème. Arrêtons de dépeindre un hôpital public engoncé dans son déficit et attaquons nous au véritable chantier.
«18% des accouchements se font par césarienne. Est-il normal que ce taux monte à 40% dans certains établissements »?
La ministre de la Santé a, elle, prévu de s’attaquer aux dépassements d’honoraires, en particulier à l’hôpital qui concentre les dépassements les plus importants…
Frédéric Valletoux : Nous sommes très clairs là dessus, ces excès sont inadmissibles ! L’hôpital public repose sur des valeurs et l’égal accès de chacun aux soins en est une fondamentale. L’argent ne peut pas être un coupe-file permettant d’accéder plus rapidement à un médecin dans l’enceinte de l’hôpital public ! Mais ces dépassements excessifs ne concernent que 200 à 250 médecins hospitaliers et ne représentent que 0,1 des 2,1 milliards d’euros de l’ensemble des dépassements d’honoraires. Le plafonnement de ces pratiques ne doit pas se traduire par l’interdiction totale des consultations privées à l’hôpital. C’est un élément important de l’attractivité des carrières publiques pour les médecins, comme une forme d’intéressement. Il manque 10 000 médecins hospitaliers, il faut garder cet élément d’attractivité même s’il doit être sérieusement encadré.
«L’argent ne peut pas être un coupe-file permettant d’accéder plus rapidement à un médecin».
La première image qu’ont les Français de l’hôpital, ce sont souvent les services d’urgences saturés. Comment y remédier ?
Frédéric Valletoux : Il faut absolument réorganiser la filière de soins en amont et en aval de l’hôpital. Il doit redevenir le lieu de prise en charge de la maladie dans sa phase aiguë. Avant, il faut développer davantage de liens avec la médecine de ville qui doit assurer le premier recours et les soins non urgents.
Les maisons médicales aux portes de l’hôpital sont une piste intéressante pour permettre aux services d’urgence de se concentrer sur l’urgence réelle. Et après l’hospitalisation, il faut pouvoir se tourner vers des réseaux de prise en charge à domicile, des structures de soins de suite. L’hôpital ne peut pas être un lieu de convalescence par défaut. L’hôpital de demain devra s’articuler avec l’offre de soins existante sur son territoire, qu’elle soit publique, privée ou libérale.
« De nombreux acteurs du système se sont défaussés sur l’hôpital qui en fait les frais aujourd’hui».
Et si elle n’existe plus cette offre de soins ? Dans les déserts médicaux ?
Frédéric Valletoux : Dans les zones où l’hôpital reste le seul recours, il faudra envisager l’hôpital hors les murs, les médecins hospitaliers qui se rendent dans des maisons médicales pour recréer une offre de soins de proximité.
« Les médecins hospitaliers pourraient aller combler les déserts médicaux »
Propos recueillis par Afsané Sabouhi