Opération réussie ! Et secret bien gardé... Des chercheurs et des médecins français ont dévoilé vendredi une opération chirurgicale bien particulière qui a été réalisée il y a trois mois, le 21 octobre 2014. Et ils ont attendu le congrès français de cardiologie qui se tient actuellement à Paris pour en présenter les premiers résultats. Rien de plus normal pour ce qui a été mis en avant comme « une première mondiale » : l'implantation dans le cœur d'une patiente de cellules cardiaques dérivées de cellules souches embryonnaires humaines.
Les cellules souches embryonnaires sont des cellules qui proviennent d'embryons congelés suite à une fécondation in vitro (FIV). Elles peuvent être utilisées à des fins de recherche lorsque ces embryons en excès ne font plus l'objet d'un projet parental. Ces cellules ont la faculté de donner naissance à toutes les cellules spécialisées de l'organisme, y compris les cellules cardiaques. Et c'est cette capacité que les chercheurs de l'hôpital Saint-Louis et de l'Hôpital européen Georges Pompidou (HEGP), de l'Inserm et des universités Paris Diderot et Paris Descartes ont exploitée.
Un processus réparateur
Ils ont transformé ces cellules souches embryonnaires en « jeunes » cellules cardiaques, qui ne battaient pas encore le rythme cardiaque. Puis ils les ont placées dans une espèce de colle naturelle, la fibrine. Et ils ont implanté ce patch dans le cœur d'une patiente âgée de 68 ans qui souffrait d'une insuffisance cardiaque sévère, et plus précisément sur la zone de l'infarctus. La transplantation n'a duré qu'une dizaine de minutes. Elle s'est faite, pour des raisons éthiques, à l'occasion d'une chirurgie cardiaque conventionnelle, en l'occurrence un pontage coronarien. Car il n'était pas question pour les médecins de réaliser l'opération à cœur battant rien que pour cette greffe, qui est encore expérimentale. « Il s'agit d'une opération simple, rapide et reproductible par tous les chirurgiens cardiaques », s'enthousiasme le Pr Philippe Menasché, chirurgien cardiaque à l'HEGP.
La patiente a reçu un traitement immunosuppresseur, comme dans toute greffe avec un corps étranger, pour éviter son rejet par l'organisme. Mais le traitement a été de courte durée et à faible dose. Car au bout d'un moment, « les cellules du patch finissent par mourir. Mais auparavant, elles libèrent de multiples facteurs qui activent les processus de réparation ou de régénération du receveur », explique le Pr Menasché.
Un optimisme prudent
Le chirurgien se réjouit des résultats obtenus à 3 mois chez cette patiente. « Elle a retrouvé une vie normale » et a bénéficié d'une amélioration de certains paramètres cardiaques. Par exemple, la fraction d'éjection de sang dans le cœur (le volume de sang éjecté à chaque contraction cardiaque, NDLR) est passée de 26% à 36%. « Mais on ne peut rien en conclure » car on ne sait pas si cela est dû à la greffe ou au pontage qui a été réalisé en même temps », met-il en garde. Et les résultats portent sur une seule patiente avec un recul de trois mois seulement. De toutes façons, l'efficacité n'était pas le critère principal d'évaluation de cette thérapie cellulaire dans l'essai clinique qui doit inclure à terme 6 patients.
L'étude en cours avait d'abord pour but d'évaluer la faisabilité de la technique ainsi que sa sécurité. Et sur la sécurité, Philippe Menasché affiche un optimisme prudent. Pour l'instant par exemple, « il n'y a aucune anomalie à l'échographie témoignant du développement d'une tumeur », précise-t-il. Ce risque doit être surveillé quand on travaille avec des cellules spécialisées issues de cellules souches embryonnaires. Dans le processus de transformation, il reste en effet, malgré les purifications, environ 3% de cellules souches embryonnaires qui n'ont pas réussi à se spécialiser. Et l'implantation de cellules souches embryonnaires peut générer des tumeurs. Mais le Pr Jérôme Larghero, chef du département de biothérapies cellulaires et tissulaires de l'hôpital Saint-Louis, se montre rassurant. Les cellules cardiaques issues de cellules souches embryonnaires ont été injectées à haute dose à des souris sans générer de tumeurs.
10 à 20 % des insuffisants cardiaques concernés
La technique va continuer à être évaluée chez 4 autres patients. En dehors de la patiente de 68 ans, il faut mentionner le fait qu'un patient a été greffé avant, en compassionnel (ultime recours). Mais celui-ci est décédé pour d'autres raisons que la transplantation cellulaire, des suites de nombreuses pathologies sous-jacentes, précise le Pr Menasché.
A terme, si la technique fait ses preuves, elle pourrait être proposée aux patients souffrant d'insuffisance cardiaque sévère. « En France, 1 à 1,5 million de personnes souffrent d'insuffisance cardiaque et leur nombre ne fait qu'augmenter. La greffe pourrait s'adresser aux 10% à 20% des patients dont la pathologie ne parvient pas à être contrôlée malgré les médicaments ou les dispositifs médicaux comme les pace-makers », indique le Pr Michel Desnos, cardiologue à l'HEGP. Elle ne concernerait pas en revanche l'insuffisance cardiaque terminale, où le cœur doit cette fois-ci être remplacé par une transplantation d'un autre cœur ou... par la pose d'un cœur artificiel. Une autre technologie d'avenir !