C’est l’histoire d’une bactérie et de sa descendance, la lignée Beijing. Depuis son émergence il y a 7000 ans dans le nord-est de la Chine, elle a accompagné l’Homme et les grands événements qui ont façonné son passé. Avec lui, elle a évolué pour donner lieu à des formes de tuberculose de plus en plus résistantes aux traitements antibiotiques.
Pour mieux comprendre cette lignée, un consortium international de chercheurs, mené par le Centre d'infection et d'immunité de Lille et le Muséum national d'Histoire naturelle (MNHN/CNRS), a décidé de retracer son récit au fil des siècles. Les auteurs de cette étude, publiée dans la revue Nature, ont analysé les empreintes génétiques de près de 5000 souches, issues d’une centaine de pays. C’est la plus grande collection de bacilles tuberculeux étudiée à ce jour.
Quand la guerre nourrit les souches
La lignée Beijing s’est propagée dans le reste du monde par vagues successives, avec les grands mouvements de population vers l’est et l’ouest, expliquent les auteurs. Mais c’est à l’époque contemporaine que la population bactérienne a vu ses effectifs exploser.
Elle a ainsi profité des événements les plus tragiques de l’Histoire, comme la Première Guerre mondiale – car la tuberculose se nourrit de la précarité. Elle a aussi gonflé ses rangs à mesure que la densité humaine s’est accrue. A ce titre, la révolution industrielle a constitué pour elle une formidable opportunité de se renforcer.
Au cours des années 1960, l’Humain déclare la guerre aux souches de la lignée Beijing. A grands renforts d’antibiotiques, il met tout en œuvre pour anéantir ses formes les plus résistantes. Avec un certain succès, puisque les scientifiques notent une phase de décrue concomitante avec l’apparition de ces traitements.
"Souche russe"
Mais c’était sans compter sur l’opiniâtreté de ces bactéries mutantes. Progressivement, imperceptiblement, les souches de la lignée Beijing se sont adaptées à cet environnement hostile. Loin d’en venir à bout, les antibiotiques l’ont renforcée. Dans les années 1980, les bactéries multirésistantes apparaissent. Elles profitent de l’épidémie de sida qui émerge. La phase de décrue s'achève ici.
Deux souches ont été particulièrement combattives. Surnommées « clone d'Asie centrale » et « souche russe », elles se sont répandues après l'effondrement du système de santé publique en ex-URSS. De fait, les pays de l’ancienne Union Soviétique (Ukraine, Russie et Géorgie en tête) affichent l’un des plus forts taux de prévalence de la tuberculose au monde. Le pourcentage de souches multirésistantes y est compris entre 10 et 30 % parmi les nouveaux cas, et 45 % chez des patients déjà traités. Dans la région, Médecins Sans Frontières tire régulièrement la sonnette d’alarme.
Grâce à cette chronologie de la maladie, les chercheurs ont pu identifier une série de mutations de gènes possiblement associés à la propagation épidémique et à la résistance aux antibiotiques. « Ces gènes constituent des cibles potentielles de traitement », affirment les auteurs, qui précisent que la tuberculose continue de tuer près d’un million et demi de personnes par an dans le monde. Le combat est loin d'être gagné.