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Anorexie : des sportifs brisent le tabou

Par Marion Guérin

Si l’anorexie des athlètes reste marginale, elle est de mieux en mieux appréhendée par les instances sportives. Pour autant, le phénomène reste tabou.

CHAMUSSY/SIPA

« On les remarque lors des compétitions. Elles ne viennent pas aux repas et boivent tout le temps du thé. Elles sont très fines. Alors, oui, on imagine qu’elles ont un problème d’alimentation. Mais on n’en parle jamais. C’est trop tabou ».

Isabelle Delobel se souvient bien de ses années de patinage artistique et de ses concurrentes au gabarit filiforme. « Ce sport est peut-être plus exposé que d’autres aux problèmes d’anorexie, car la silhouette et le poids ont une importance particulière », explique cette ancienne championne du monde, qui a elle-même multiplié les « régimes débiles ».

« Sports de minceur »
Au nom de la performance, certains athlètes de haut niveau font de leur poids une obsession parfois pathologique, même si l’anorexie reste marginale dans le milieu. Elle toucherait entre 0,1% et 0,2% des sportifs, contre 1% de la population générale. Les « sports de minceur » - danse, patinage, course de fond, gymnastique… - sont particulièrement concernés, eux qui valorisent les silhouettes fines et les poids plume. Ce dimanche, France 2 consacrera une enquête à ce phénomène mal connu du grand public (1).

Comme dans le reste de la société, ces troubles ont longtemps fait l’objet d’un tabou. « Personne n’aime les gens qui ne mangent pas. Les sportifs de haut niveau font rêver, un peu comme les top model. On s’interdit d’évoquer ces problèmes, pour ne pas briser l’image », affirme Isabelle Delobel. Résultat : le suivi médical de la pathologie a mis du temps à se mettre en place.

Ecoutez Isabelle Delobel, championne olympique de patinage artistique : « A l’époque, nous n’avions aucun suivi de notre alimentation ».



« Comment tu veux gagner avec un gros cul…? »
Conscient de cette problématique, le ministère de la Santé a produit en 2012 un guide de recommandations à destination des professionnels du sport et de la santé pour mieux repérer et traiter les troubles de l’alimentation chez les sportifs. Sans les incriminer, il vise tout particulièrement les entraîneurs qui peuvent amplifier par leurs propos les pathologies des athlètes.

« Tu as pris du poids, fais attention. Comment tu veux gagner avec un gros cul ? Ces petites phrases sont très fréquentes à l’entraînement », témoigne Sandra Tetard. Cette gymnaste, plusieurs fois titrée, entraîne aujourd’hui des jeunes compétiteurs. La thèse qu’elle a réalisée sur l’anorexie dans le sport dénonce certaines dérives.

« Il existe des sports où les comportements anorexiques sont tolérés car cela arrange tout le monde, soutient-elle. En gym, en danse, on veut des silhouettes très fines. Du coup, les entraîneurs ferment les yeux, voire félicitent de la maigreur des athlètes. Jusqu’à ce que l’une d’entre elle finisse à l’hôpital ». Pour ne pas pousser ses sportifs à s’abîmer, Sandra Tetard évite d’insister sur la relation « poids/performance ». « Je leur explique qu’on peut gagner, même avec un peu d’embonpoint ». Ce qui est vrai, jusqu’à un certain niveau…



Régimes « yo-yo »
De fait, c’est bien le rapport poids/performance qui est au cœur des troubles de l’alimentation des athlètes - même si, comme le précise Sandra Tetard, « le sport ne génère pas ces troubles, il les exacerbent chez des sujets déjà fragiles ». Ils touchent aussi bien les hommes que les femmes. En fait, tous les sports à catégories de poids semblent concernés. Boxeurs ou encore judokas sont en effet habitués à suivre des régimes « yo-yo » pour entrer dans certaines catégories définies selon le poids. Le saut à ski n'est pas épargné non plus, un skieur plus léger pouvant améliorer sa performance grâce à un meilleur rapport poids/puissance.

« Les études menées sur la question montrent néanmoins que ces sportifs récupèrent une alimentation et un indice de masse corporelle normaux après la fin de leur carrière », explique le Dr Jean-François Toussaint, médecin du sport et directeur de l’Institut de recherche biomédicale et d'épidémiologie du sport (IRMES).

Ecoutez le Dr Jean-François Toussaint, médecin du sport et directeur de l'IRMES : « Ce n'est pas forcément l'entraînement qui est en cause. Les critères subjectifs pour juger certaines disciplines, certains sports jouent aussi. »




Aujourd’hui, les troubles alimentaires des sportifs sont mieux pris en charge. « Les athlètes bénéficient d’un accompagnement nutritionnel, fondé non seulement sur la quantité des aliments mais aussi sur leur qualité, précise Jean-François Toussaint. Dans certains clubs, les sportifs remplissent tous les matins un questionnaire pour évaluer leur état psychologique ». Une manière de briser le silence autour de la pathologie.

(1) Stade 2-17h35 L'anorexie: le grand tabou du sport