Quel accueil réserver aux riches patients de ce monde, désireux de jouir de l’excellence des hôpitaux français ? Cette question, le gouvernement se la pose sérieusement. Au point d’avoir missionné un économiste de la santé, Jean de Kervasdoué (1), pour produire un rapport sur la « valorisation de l’expertise médicale française », plus connue sous le nom de « tourisme médical ».
Ils viennent du Golfe, de Russie, de Chine, du Maghreb, ou encore de pays frontaliers – Suisse, Belgique… Leur point commun : un porte-monnaie bien rempli, et un état de santé qui nécessite une prise en charge médicale. Pour le secteur hospitalier français, ces « patients très solvables » seraient même l’occasion inestimable de renflouer ses caisses, selon le rapport, révélé par Challenges.
2 milliards d'euros et 30 000 emplois
« Ces personnes sont prêtes à payer très cher pour un service de qualité », explique Jean de Kervasdoué. Ainsi, dans les hôpitaux de l’AP-HP, ils déboursent 30% de plus que les Français. Selon les calculs de l’économiste, « il est envisageable d'atteindre un chiffre d'affaire de l'ordre 2 milliards d'euros qui est le chiffre allemand actuel », et qui « se traduirait par la création de 25 000 à 30 000 emplois » d’ici cinq ans.
Mais encore faut-il attirer tout ce beau monde… Et si les « atouts de la France » énumérés dans le rapport semblent nombreux – qualité des soins, tarifs compétitifs, bonne image des médecins… - les freins au développement de ce marché porteur le sont tout autant. Lourdeurs administratives, barrière de la langue, interdiction de la publicité pour les médecins… mais aussi confort de l’hôpital français. « Aucun établissement sanitaire français n’est au standard international », estime l’auteur du rapport.
Ce « standard international » est d’ailleurs au cœur des questions soulevées par ce rapport, commandé en février dernier, au lendemain de la polémique à Ambroise Paré où un prince saoudien avait privatisé le dernier étage de l’hôpital pour y installer sa famille. A l’époque, l’affaire avait provoqué un tollé dans l’opinion publique. Mais pour Jean de Kervasdoué, c’est surtout l’occasion de lancer le débat.
Des sociétés privées de « conciergerie médicale »
L’économiste préconise ainsi d’offrir à ces patients étrangers les « conditions hôtelières auxquelles ils sont habitués », à condition, « bien entendu, de les facturer en conséquence ». Des sociétés privées de « conciergerie médicale, pour faire référence au rôle des concierges dans les grands hôtels » organiseraient la prise en charge du patient, depuis son arrivée à l’aéroport jusqu’à son départ. Quant à la restauration hospitalière, jugée « spartiate », elle devra elle aussi s’adapter aux exigences de la clientèle.
Jean de Kervasdoué recommande ainsi la création d’un organisme chargé de « promouvoir et d’organiser » la prise en charge de ces patients étrangers, notamment au sein des ambassades françaises à l’étranger. Il pourrait aussi délivrer des « certifications » aux établissements qui décident de s’ouvrir à cette clientèle. L'économiste en est certain : l'hôpital public doit « investir dans son marketing ».
Ecoutez Jean de Kervasdoué, économiste de la santé : « Pour être accrédité, l’hôpital devra préciser certains critères. Jusqu’ici, nous n’en avions pas besoin, mais aujourd’hui, il faut vendre des services ».
Des patients très exigeants
De fait, ces patients demandent un accueil particulier, comme le témoignent certains médecins qui, déjà, les prennent en charge dans leur établissement - privé, pour la plupart. « Leur niveau d’exigence n’est pas le même ! » confirme Xavier Loniewski. Dans une clinique parisienne, ce chirurgien orthopédique reçoit quelques Koweitiens et Saoudiens, envoyés par l’ambassade de leur pays.
« Ils viennent car ils n’ont pas confiance en leur système de santé, explique-t-il. Les infrastructures sont là, le matériel est neuf, mais ils se méfient des médecins qui y travaillent ». Une fois arrivé dans les cliniques françaises, pourtant, leurs craintes ne sont pas toujours levées.
« Souvent, ils ont subi une intervention dans leur pays, et ils n'en sont pas satisfaits. Nous faisons beaucoup de reprises. Ces patients craignent particulièrement les complications, et il faut prendre beaucoup de temps pour les rassurer. Par ailleurs, ils sont assez indisciplinés, arrivent en retard aux rendez-vous, ou ne font pas les examens qu’on leur demande, parce qu’ils font du shopping à la place... C’est vrai que globalement, ce sont des patients qui demandent plus de temps et d’implication que les autres ».
Ecoutez Xavier Loniewski, chirurgien orthopédique : « Quand ils sont hospitalisés, ils ont beaucoup d’exigences, car ils ont l’habitude d’être servis dans leur pays »
« L’hôpital n’est pas une entreprise »
Le modèle est-il transposable dans le secteur public ? Le rapport évoque les craintes au sein de la population suscitées par la prise en charge de ces « patients très solvables » - qui, par ailleurs, ne se résument pas aux riches Koweitiens. En fait, ces services haut de gamme s'adresseraient à tous ceux qui peuvent se les offrir, y compris aux Français, précise l'auteur du rapport. Mais ces patients « ne bénéficieraient d’aucun passe-droit ni d’aucune priorité sur les autres » et seraient, d’un point de vue médical, « accueillis comme ils l’ont toujours été, et comme le sont les patients français ».
L’argument de convainc pas les défenseurs du secteur public. La CGT Santé dénonce la menace d'un système à deux vitesses et promet d’y faire barrage. Même son de cloche du côté du Mouvement de Défense de l'Hôpital Public. « Les patients étrangers apprécient notre système parce qu’il est de grande qualité, explique l’un de ses membres, le Pr André Grimaldi. Or, c’est précisément le principe d’égalité qui en garantit sa qualité ». Pour ce diabétologue de la Pitié-Salpêtrière, ce n’est pas au système français de s’adapter aux exigences de la riche patientèle, mais bien le contraire.
« Et comment s'organiserait ce système ? Quel personnel mobiliserait-on ? L’argent n’est pas une garantie de qualité. On le voit aux Etats-Unis, où le tourisme médical est très développé. L’Etat investit 18 % de son PIB dans le système de santé, qui est pourtant l’un des plus mauvais au monde ! L’hôpital n’est pas une entreprise et ne doit pas s’engager dans la voie de la compétitivité, au risque de perdre en qualité. Les riches patients étrangers sont les bienvenus, et nos établissements ne sont pas si vétustes. Pour des prestations luxueuses, il faut se tourner vers le privé ».
Ecoutez André Grimaldi, diabétologue, membre du Mouvement de Défense de l'Hôpital Public : « Je vais vous raconter une anecdote... ».
(1) Titulaire de la chaire d'économie et de gestion des services de santé du conservatoire national des arts et métiers (CNAM), ancien directeur des hôpitaux (1981-1986)