« Manger bouger » : un bon conseil pour prévenir l’obésité… mais pas toujours suffisant pour la guérir. Dans un commentaire du Lancet Diabetes & Endocrinology, quatre experts américains de l’obésité passent en revue les différents traitements de cette maladie qui touche plus d’un Français sur 6. Les scientifiques soulignent que les prises en charge ne tiennent pas compte des adaptations physiologiques induites par la perte de poids, qui pourtant pourraient jouer un rôle majeur dans les rechutes.
Le mode de vie, pas seul coupable
La privation pour perdre du poids ne mène qu’à un constat : l’échec. 80 à 95 % des personnes obèses qui maigrissent grâce à un régime hypocalorique finissent par reprendre du poids. L’explication est simple : la restriction déclenche un mécanisme biologique qui poussera à consommer des aliments riches et à stocker le surplus. Historiquement, ce système a permis de lutter contre la famine. Mais dans une société occidentale, où l’alimentation n’est plus un problème, ce moyen de défense devient un moteur de l’obésité et nuit à une stabilisation du poids.
Les circuits cérébraux sont aussi altérés par l’obésité, plus précisément les circuits de la récompense. Ils sont sur-stimulés par les aliments appétissants… et la privation revient à créer un déficit à ce niveau. « Par conséquent, pour la plupart des individus obèses, recommander de manger moins et bouger plus risque d’être aussi inefficace que de conseiller à quelqu’un qui saigne beaucoup d’éviter les objets tranchants », illustre le Dr Christopher Ochner, de l’Ecole de médecine Icahn au Mont-Sinai (New York, Etats-Unis).
« Ce commentaire ne dit pas que les interventions doivent être abandonnées, mais qu’elles sont insuffisantes pour combattre les facteurs biologiques et environnementaux », tempère le Pr Jean-Michel Oppert, chef de service au Centre de recherche et de médecine de l’obésité (Paris), contacté par pourquoidocteur. Elles restent les premières approches, mais il faut aussi parfois inclure la pharmacologie et la chirurgie. »
Une maladie chronique, avec des "rémissions"
L’obésité devrait être considérée comme une maladie chronique, et les anciens obèses comme des malades « en rémission », argumentent les experts. Le Dr Yann Matussière, médecin nutritionniste au Centre spécialisé de l’obésité à la clinique de la Sauvegarde (Lyon), abonde dans ce sens. « C’est une maladie chronique avec des changements biologiques permanents, confirme-t-il. Les patients gardent des traces, et il faut en tenir compte pour maintenir la perte de poids. Le risque de rechute doit aussi être pris en compte. » En effet, les personnes obèses qui ont perdu du poids n’ont pas les mêmes caractéristiques que des individus de même âge, de même sexe et de même poids.
C’est justement cette particularité biologique de l’obésité qui rend nécessaires de nouveaux traitements. Mais les évolutions les plus récentes, comme la chirurgie bariatrique ou d’autres approches plus contestées – les médicaments anti-obésité ou l’implant intra-abdominal bloquant le nerf vagal –, ne traitent pas les troubles biologiques de manière permanente. Seul le bypass gastrique de Roux-en-Y se distingue, car il permet de rétablir le niveau des hormones de l’appétit et la réponse du cerveau à l’alimentation.
« La plupart du temps, on fait une médecine de l’échec, reconnaît le Dr Arnaud Cocaul, médecin nutritionniste à Paris. Il est très compliqué de traiter durablement l’obésité. Mais on fait équipe avec le patient et l’urgence, c’est de lui faire arrêter de prendre du poids, puis le stabiliser. Les gens sont tentés de réagir aux méthodes rapides, ils veulent croire au régime miracle », déplore ce spécialiste.
De nombreux facteurs génétiques Les techniques de prise en charge de l’obésité progressent, tout comme la connaissance de cette maladie. Deux articles parus dans Nature précisent les mécanismes génétiques sous-jacents. Au total, 140 régions d'intéerêt ont été identifiées dans le génome. La première publication en mentionne une vingtaine qui influencent la présence de graisse abdominale, et en particulier le ratio tour de taille/tour de hanches chez la femme. Le second article décrit quelques 97 régions impliquées dans l’obésité, avec un effet cumulatif. Certaines jouent un rôle dans les signaux cérébraux qui contrôlent l’appétit et la dépense d’énergie. Les protéines pour lesquelles ces régions de l'ADN codent pourraient, à terme, servir de cibles thérapeutiques pour de nouveaux traitements. Mais « découvrir les gènes qui accroissent le risque d’obésité, c’est seulement la fin du début », limite le Pr Ruth Loos, spécialiste en médecine préventive à l’hôpital du Mont-Sinai (New York, Etats-Unis). « Le défi est maintenant d’en apprendre plus sur le fonctionnement de ces variations génétiques, et comment elles augmentent le risque de prendre du poids. » |
« Un arc à plusieurs cordes »
Les auteurs du commentaire du Lancet plaident en faveur d’une approche multidisciplinaire, qui inclut un suivi psychologique. C’est aussi ce que martèlent à l’envi les spécialistes contactés par pourquoidocteur. « La prise en charge est multimodale, et comprend toujours une action sur le mode de vie ainsi qu’un soutien et un suivi psychologique », précise le Pr Oppert. « Je reste convaincu qu’il faut une prise en charge multidisciplinaire, organisée et empathique. Le patient doit entendre un discours uniforme », estime également le Dr Cocaul.
Pour le Dr Matussière, il faut voir la prise en charge de l’obésité comme « un arc à plusieurs cordes. » « Il n’y a pas une recette mais des recettes adaptées au patient. C’est un problème d’équipe. Un patient aura besoin de différents cadrages, sur différentes spécialités. Au début, il pourra avoir besoin d’une éducation nutritionnelle, puis présenter des troubles du comportement… En fait, on est beaucoup dans l’éducation adaptée. »