C’est l’antidouleur le plus vendu au monde. Le paracétamol garnit les armoires à pharmacies de millions de Français et pourtant, les connaissances scientifiques sur ses effets indésirables restent assez limitées. C’est précisément ce qui a poussé une équipe de chercheurs américains à se pencher sur la question.
Des risques mal identifiés
Et leur conclusion n’est pas des plus rassurantes. La méta-analyse, publiée dans la revue Annals of the Rheumatic Diseases, compile les informations issues de plusieurs études. Elle se concentre sur les risques liés à une consommation chronique, sur une période prolongée et à dose thérapeutique (3 à 4 grammes par jour). Ce qui, dans les faits, concerne de très nombreux patients.
Or, selon les données scientifiques, une telle consommation augmente le risque de troubles cardiovasculaires de 19 à 68 %. La même observation est faite sur les effets secondaires gastro-intestinaux et rénaux, avec une variation de l’élévation du risque.
Ces effets secondaires sont globalement sous-estimés, selon les auteurs, qui reconnaissent eux-mêmes les limites de leur étude, faute de travaux scientifiques sur le sujet. Et parmi les professionnels de santé, force est de reconnaître que ces risques semblent très mal identifiés.
« Les médecins ne sont pas au courant »
« En cours de médecine, le seul effet indésirable que l’on apprend concerne les surdoses, souligne Bernard Bégaud, pharmacologue à l’Inserm. On sait que si l’on mange deux ou trois boîtes de paracétamol, on se fusille le foie. Cela entraîne une nécrose hépatique extrêmement étendue qui nécessite éventuellement une transplantation. C’est un mode de suicide assez répandu en Grande Bretagne ».
Mais les effets à long terme, eux, sont très mal documentés. « Les médecins ne sont pas au courant parce que les études sont trop rares, ce qui est inadmissible pour un médicament consommé par des millions de personnes », s’insurge Bernard Bégaud.
Ecoutez le Pr Bernard Bégaud, pharmacologue à l’Inserm : « C’est un produit qui n’est pas aussi sûr qu’on nous l’a dit… »
« On en prescrit facilement »
De fait, rares sont les professionnels de santé qui mettent en garde les patients sur les risques d’une consommation prolongée. Pourtant, le réflexe paracétamol en première intention est très présent chez les médecins. Et on peut difficilement leur en vouloir : ils ne font que suivre les recommandations des institutions sanitaires.
Par ailleurs, le paracétamol reste souvent la meilleure alternative. « On en prescrit facilement car les autres antalgiques de pallier 1 ou 2 ont des effets secondaires plus importants à court terme et à long terme, en particulier chez les personnes âgées », explique Philippe Castera, médecin généraliste à Bordeaux, qui confirme ne pas avoir eu vent des risques liés au paracétamol. « Il faut malgré tout remettre en cause les prescriptions à long terme, surtout quand elles ne sont pas justifiées ».
Ecoutez le Dr Philippe Castera, généraliste à Bordeaux : « On a tendance à renouveler les ordonnances alors qu’il faudrait à chaque fois réévaluer la douleur et reconsidérer les prescriptions. »
Des patients mal éduqués
Mais la consommation massive du paracétamol n’est pas uniquement liée à des prescripteurs qui auraient la main un peu lourde. Elle est également le résultat du manque d’information du patient, qui pratique l’automédication et banalise l’usage de cet antidouleur délivré sans ordonnance.
D’ailleurs, le pharmacien a un rôle clé à jouer dans cette éducation du patient. Pour François Chast, chef du service de pharmacie, pharmacologie et toxicologie à l’Hôtel-Dieu (Paris) et président honoraire de l’Académie de Pharmacie, « cette étude doit justement nous faire réfléchir sur notre manière de délivrer du paracétamol ».