Le texte que s’apprête à voter l’Assemblée nationale ce mercredi fera date. En effet, après un parcours parlementaire plus que chaotique, les députés devraient valider la nouvelle loi sur la prostitution. Une loi présentée comme « abolitionniste » souligne La Croix, mais qui via la pénalisation du client pourrait avoir des effets contre-productifs pour les prostituées.
150 000 euros par an. C’est à peu près ce que peut espérer gagner un proxénète grâce à l'exploitation sexuelle d'une seule personne. Le chiffre, avancé par Yves Charpenel, président de la Fondation Scelles, dans les colonnes de La Croix en dit long sur le lucratif marché de l’exploitation sexuelle. Pour ce magistrat, il ne fait aucun doute que la pénalisation du client, en « tarissant la demande » peut être une mesure utile à la lutte contre les réseaux de proxénétisme.
La loi adoptée par les parlementaires après deux ans de débat acharné prévoit en effet des sanctions qui pourraient dissuader – au moins – certains clients. Désormais, payer pour obtenir un acte sexuel sera passible d’une amende de 5e classe, et surtout d’une inscription de l’infraction dans le casier judiciaire du client. Or, comme le rappelle Yves Charpenel, « la majorité des clients sont très attachés à la discrétion ».
La nouvelle loi ne se contente pas de sanctionner. Grande nouveauté, elle reconnaît les prostituées comme des victimes, et met fin au délit de racolage. Surtout, un ensemble de mesures sont prévues pour permettre à ces femmes de sortir de l’enfer de la prostitution.
Mais si ce texte a tant été débattu ce n’est pas parce que 70 ans après la loi Marthe Richard, qui actait la fermeture des maisons closes, la France fait un pas de plus contre l’exploitation sexuelle. Parmi les opposants à cette pénalisation du client, se trouvent aussi certaines associations, qui chaque jour sont aux côtés des prostituées. Elles ont à de nombreuses reprises alerté sur le fait que sanctionner le client c’est au final, pour celles qui n’ont d’autres choix que de vendre leur corps, un pas de plus vers la clandestinité. Pour garantir cette fameuse « discrétion » aux clients, les prostituées seront amenées à travailler de manière de plus en plus cachée, prévenait ainsi Médecins du Monde. Or être isolée, cela signifie plus de danger, et moins d’accès aux soins que peuvent proposer les associations de terrain.
La législation suédoise qui a servi de modèle à la nouvelle loi française ne serait pas si positive. « Lorsque les proxénètes envoient une fille à Stockholm, ils lui louent un appartement, c’est aussi simple que ça. Du coup, elles sont beaucoup plus vulnérables aux violences des clients. Au contraire, lorsqu’elles sont ensemble, en groupe, les unes peuvent venir en aide aux autres en cas d’agression… », expliquait dans nos colonnes Irène Abudaram, coordinatrice à Médecins du Monde, en novembre dernier.
En irait-il de la prostitution comme des drogues ? Faut-il là aussi concéder, au-delà de toute considération morale, que face à des pratiques dont on ne peut nier l’existence, c’est la réduction des risques qui doit être plébiscitée ? C’est en tout cas le point de vue de nombre de spécialistes. En juillet dernier, une série d'études publiées dans la revue The Lancet concluait à l’inefficacité de la répression en matière de sécurité sanitaire et de droits de l’homme. Ses auteurs appelaient à dépénaliser la prostitution pour mieux la combattre.