A 18 ans, l’athlète Dutee Chand remporte une bataille contre la Fédération indienne d’athlétisme. Exclue de la compétition à cause d’un taux de testostérone dans le sang trop élevé, la jeune femme a saisi le Tribunal Arbitral du Sport (Lausanne, Suisse). Le verdict, rendu ce 24 juillet, demande à la Fédération d’apporter les preuves scientifiques que la testostérone, lorsqu’elle est naturellement présente chez la femme, influence les performances sportives. Un pavé dans une mare déjà bien agitée par diverses polémiques, auxquelles la dernière Coupe du monde féminine de la FIFA n’a pas échappé.
Des taux très différents
L’Association internationale des fédérations d’athlétisme (IAAF) se défend dans un communiqué de toute discrimination envers Dutee Chand. Les régulations en place « s’appuient sur un consensus scientifique solide qui veut que les différences évidentes entre les sexes lors des performances sportives soient principalement dues à une différence marquée du niveau de testostérone entre l’homme et la femme », avance l’organisme. Il précise même les seuils de référence : la femme ne doit pas présenter un taux supérieur à la fourchette de 0,1 à 2,8 nanomoles par litre de sang. L’homme doit posséder un taux supérieur à 10,5 nmol/L.
La mesure de la testostérone est la méthode de vérification du sexe la plus utilisée dans le sport professionnel. Un document rédigé par le Comité international olympique (CIO) en préparation des Jeux Olympiques de Londres (2012) précise les régulations encadrant l’hyperandrogénie chez la femme. L’examen de référence sera le niveau de testostérone dans le sérum, précise-t-il. S’il se situe dans les valeurs masculines, qui ne sont pas précisées, les athlètes féminines peuvent être exclues de la compétition. Les mêmes mesures sont en vigueur au sein de la Fédération Internationale de Football Association (FIFA) : une vérification du sexe peut être demandée. Le niveau d’hormones sexuelles fait partie des éléments décisifs.
Des tests coûteux et peu efficaces
La mesure de la testostérone remplace une méthode plus controversée : l’analyse génétique. Les médecins recherchent alors une structure, le corpuscule de Barr, qui indique la présence de plus d’un chromosome X. L’approche a finalement été abandonnée. Mais le test hormonal fait aussi l’objet d’un débat houleux au sein de la communauté scientifique.
« Le taux de testostérone serait le fléau de la juste balance séparant ici, non comme au Jugement dernier, les bons des mauvais, mais les hommes et les femmes, analyse pour Slate le Pr Jean-Paul Escande, ancien président de la Commission nationale française de lutte contre le dopage. Cette donnée "scientifique" répond-elle vraiment à la question posée ? Les tentatives ont été nombreuses pour trancher l’épineux problème de la distinction entre les hommes et les femmes. »
Nombreuses, mais peu concluantes. Et pour cause : elles excluent les cas épineux de la médecine. C’est ce que souligne un commentaire paru en 2000 dans le JAMA : « En réalité, les tests de vérification du sexe sont difficiles, coûteux et potentiellement peu précis, précisent ses auteurs. De plus, ces tests échouent à exclure tous les imposteurs potentiels, sont discriminatoires à l’encontre des femmes atteintes de troubles du développement sexuel, et peuvent avoir des conséquences dévastatrices pour les athlètes qui "échouent" au test. »
Des maladies pas prises en compte
De nombreuses sportives professionnelles en ont fait les frais, alors que dépasser les normes n’est pas rare. L’endocrinologue Peter Sonksen a mené en 2000 une étude auprès de 650 athlètes des Jeux Olympiques. Le Slate américain se fait l’écho des résultats, jamais publiés : 5 % des femmes se situent dans les valeurs masculines… et 6 % des hommes dans les valeurs féminines.
Le dernier problème tient aux troubles hormonaux ou du développement hormonal. Comme le précise Allodocteurs, des pathologies aux ovaires ou aux glandes surrénales peuvent affecter le taux de testostérone. Certaines femmes, comme Dutee Chand, sont atteintes d’hyperandrogénisme et présentent des signes masculins. D’autres sont atteintes d’hyperplasie congénitale des surrénales. Leurs organes génitaux peuvent alors être ambigus et l’examen visuel pose problème. Un clitoris hypertrophié ressemblera ainsi à un petit pénis. Des cas de syndrome d’insensibilité aux androgènes ont également été répertoriés. Les femmes possèdent alors une paire masculine de chromosomes (XY), mais le corps possède des caractéristiques féminines (organes génitaux, seins) et masculines (testicules). La testostérone, elle, se situe dans des valeurs féminines.
En fait, aucune étude n’a pu démontrer que le taux de testostérone naturelle influence réellement la performance sportive. « Les preuves scientifiques actuelles ne soutiennent pas la notion selon laquelle le niveau de testostérone endogène confère un avantage athlétique de manière simple ou prévisible », souligne une étude parue dans l’American Journal of Bioethics à la veille des JO de 2012.
Des remous depuis les années 1960
Dans l’Antiquité grecque, la vérification du sexe est une question qui ne se pose pas. Les femmes n’étant pas autorisées à concourir… Les hommes participent nus aux différentes épreuves.
Dans les années 1940, une solution partielle est trouvée : les athlètes féminines doivent présenter un certificat médical qui atteste de leur féminité. Les choses se compliquent 20 ans plus tard. Un examen clinique est désormais nécessaire, et les femmes se présentent nues devant un gynécologue qui inspecte leurs parties génitales. En 1968, le test génétique est instauré. Vivement critiqué pendant 30 ans, il finit par être retiré.
En 2008, une grève générale fait des remous : lors de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN), la joueuse équato-guinéenne Genoveva Anonma doit se déshabiller pour prouver qu’elle est bien une femme. L’année suivante, le cas de Caster Semenya relance le débat aux Championnats du monde d’athlétisme de Berlin (Allemagne). La Sud-africaine remporte la médaille d’or du 800 mètres féminin. Suspectée d’hermaphrodisme, elle subit des tests pour confirmer qu’elle est une femme. Le verdict l’interdit de compétition pendant un an. La sanction est finalement levée.
En 2011, le Comité International Olympique (CIO) introduit le dosage de la testostérone comme test de féminité. Deux ans plus tard, c’est le cas de Park Eun-Seon qui fait les gros titres. La Coréenne d’un mètre quatre-vingts marque 19 buts en 22 rencontres… et provoque la grève de ses adversaires, qui refusent toute compétition tant qu’elle n’a pas prouvé sa féminité.
Dernière étape polémique, l’affaire Dutee Chand. Cette Indienne est championne du 100 mètres chez les moins de 18 ans. Mais elle est suspendue en 2014 par la Fédération internationale d’athlétisme, qui juge son taux de testostérone plus masculin que féminin. Et pour cause : elle est atteinte, comme Caster Semenya, d’hyperandrogénie. La jeune femme est finalement discuplée par le Tribunal Arbitral du Sport (TAS), qui demande à la Fédération d’apporter les preuves scientifiques de l’efficacité du dosage de la testostérone.