#Ilooklikeasurgeon, c’est le hashtag qui a fait fureur ces derniers mois sur les réseaux sociaux. A l’initiative d’une chirurgienne australienne, cette campagne lancée sur Twitter dénonce le sexisme qui règne dans la profession et les obstacles auxquels les professionnelles de santé sont encore confrontées pour accéder au bloc opératoire.
Source: Twitter/capture d'écran
La semaine dernière, une chirurgienne britannique tirait à nouveau la sonnette d’alarme sur cette problématique. Jyoti Shah est urologue et rédactrice en chef d’un magazine dédié aux femmes médecins. Utilisant cette plateforme, elle a raconté comment nombre de ses consœurs se plaignaient de discriminations, et a rappelé qu’avec seulement 800 chirurgiennes, le nombre de femmes en exercice en Angleterre était dérisoire. Un phénomène auquel les chirurgiennes françaises sont elles aussi confrontées.
Une histoire de démographie
Dans l’Hexagone, les femmes représentent 43,5 % du corps médical, d’après le dernier rapport de la Drees. Le Dr Jean-François Rault, président de la section santé publique et démographie médicale du conseil national de l’Ordre des Médecins, souligne que les professions médicales connaissent une vraie mutation démographique, en raison d’une féminisation accrue de ces métiers.
Malgré cette augmentation de leurs effectifs, les femmes restent pour le moment sous-représentées dans les professions chirurgicales. En chirurgie générale par exemple, les chirurgiennes représentent seulement 16,8 % des praticiens.
Emmanuelle Zolesio, chercheure à l'université Blaise Pascal (Clermont Ferrand), s’est intéressée à ces femmes, et à leurs expériences au sein d'un monde masculin. Elle en a fait son sujet de thèse. « Historiquement, la médecine, et plus encore la chirurgie, est une profession masculine, et qui s’est construite en temps que telle. Ce sont des métiers dont les représentations sont associées, dans notre société, à des propriétés masculines, des fonctions exigeantes », souligne t-elle.
Des spécialités « difficiles »
En chirurgie, les différences entre hommes et femmes sont surtout plus ou moins marquées selon les spécialités. Ainsi, si la chirurgie obstétrique et chirurgie gynécologique totalisent jusqu’à 45 % d’effectifs féminins, l’orthopédie-traumatologie ou la cardiologie, réputées plus « physiques » ou « difficiles », ne comptent respectivement que 4,9 et 9 % de femmes.
Julie fait partie de ce nombre restreint de jeunes femmes qui a choisi l’orthopédie. Attirée depuis longtemps par le métier de chirurgien, elle aime le côté pratique, et les effets concrets et immédiatement observables qu’une intervention orthopédique procure au patient.
Cependant, même en étant passionnée par le métier, la jeune interne évoque un monde où il n’est pas toujours simple pour une fille de gagner en crédibilité, surtout dans une spécialité comme la sienne, qui demande une certaine résistance physique. Les chirurgies des hanches notamment, demandent de la force.Résultat, même si de plus en plus de femmes choisissent cette voie, elles restent encore en minorité.
Faire une place aux femmes
En fait, comme Julie en témoigne, le problème est double. Il vient autant de la réticence des femmes à venir grossir les rangs des chirurgiens que des hommes à leur faire une place.
Ainsi, de nombreuses femmes font le choix conscient de se tourner vers des spécialités qu’elles estiment plus facile à vivre, notamment parce qu’elles nécessitent moins de force, et qu’elles laissent plus de temps pour construire une vie de famille. Le contenu du poste peut aussi paraitre moins gratifiant sur le plan humain. « Dans certains cas, des femmes ont aussi écarté la chirurgie, car cela leur manquait de ne pas construire un relationnel plus important avec le patient », note Emmanuelle Zolesio.
Une crainte semble souvent revenir parmi les jeunes chirurgiennes : celle de ne pas être acceptées dans un service car elles peuvent tomber enceintes, avec les désagréments que cela peut comporter. Il est vrai qu’une femme qui tombe enceinte ne pourra physiquement pas faire les mêmes opérations, et cela augmente la charge de travail des collègues, explique Julie.
Gouffre générationnel
Tout cela n’excuse pourtant pas la misogynie et les remarques sexistes qui persistent encore dans certains services de chirurgie. Cette ambiance pesante peut rebuter certaines femmes, et les comportements de certains collègues, freiner leur ascension.
« Cela reste rare, mais certains vieux chefs de service refusent de former des femmes », déplore Julie. C’est pourquoi elle même a choisi de rester dans l'hôpital où elle avait fait ses preuves plutôt que d'aller dans le meilleur service d'orthopédie de sa région « qui pratique ce type de discrimination ».
A travers ce témoignage, on peut voir le vrai obstacle à l’intégration des femmes : un gouffre générationnel qui sépare souvent les médecins qui occupent les positions hiérarchiques les plus élevées et les internes en chirurgie. Dans la profession, les attitudes misogynes subsistent à cause d’une structure hiérarchique encore très masculine, et de certains chefs, porteurs d’une vision dépassée du rôle des femmes au bloc opératoire. « Les jeunes médecins sont beaucoup moins dans l’opposition aux femmes, ils nous acceptent beaucoup mieux », témoigne Julie. Lentement mais sûrement, les choses sont donc en train d’évoluer.
Le rôle des chirurgiennes
Une vision optimiste partagée aussi par Emmanuelle Zolesio. «Les femmes qui investissent le métier sont des femmes qui sont heureuses de le faire, en dépit des difficultés qu'elles ont, des contraintes réelles du métier et du sexisme des hommes. Si elles continuent de l'exercer dans le temps, c'est que c'est un choix qui les satisfait », assure-t-elle.
Ces chirurgiennes pourraient avoir un vrai rôle à jouer afin d’inciter d’autres femmes à les suivre, notamment en répondant à leurs doutes et à leurs interrogations. En formant les jeunes avec rigueur, en agissant avec professionnalisme, et en luttant contre le sexisme chaque fois qu’il se manifeste, elles font évoluer les mentalités, et invitent les jeunes étudiantes en médecine à les imiter.