La semaine mondiale de l'allaitement, du 11 au 18 octobre 2015, met cette année l'accent sur le lien entre allaitement et travail. Une conciliation souvent difficile pour les mères. Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), en 2014, moins de 40% des nourrissons étaient exclusivement allaités avant l'âge de 6 mois, dans le monde.
1 million de vies d'enfants sauvées
Pourtant, selon l'OMS, si chaque enfant était allaité exclusivement pendant au moins 6 mois et l'allaitement, maintenu jusqu'à l'âge de 2 ans, plus de 1 million de vies d'enfants seraient chaque année sauvées dans le monde.
En France, dans les années 1990, les mères allaitaient leur bébé entre 8 et 13 semaines. Aujourd’hui, les nouveau-nés sont nourris au sein durant 17 semaines environ, selon une étude publiée ce mardi dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH). Toutefois, la durée de l’allaitement en France reste éloignée des recommandations internationales.
« L’Organisation mondiale de la santé recommande 6 mois d’allaitement exclusif, indique le Dr Marc Bellaïche, pédiatre nutritionniste à l’hôpital Robert-Debré (Paris). Mais les travaux des sociétés savantes européennes ont montré que la diversification alimentaire doit commencer à partir de la fin du 4e mois. Cependant, il est certain que l’allaitement maternel doit être poursuivi aussi longtemps que possible. Donner le sein à son enfant après 9 mois, 1 an, voire après, ne peut être que bénéfique. »
Autant dire que les femmes françaises en sont loin. L’étude du BEH, réalisée auprès de 18 000 mères partout en France, montre qu’à 6 mois, moins d’une mère sur cinq allaite encore son enfant de manière exclusive (uniquement du lait maternel) ou prédominante (lait, eau ou jus de fruits) alors qu’elles étaient 7 sur 10 à la naissance.
Mieux cibler les mères
« L’objectif de notre étude était de pouvoir établir le profil des mères qui allaitent peu », explique Sandra Wagner, épidémiologiste au Centre de recherche Inserm épidémiologie et statistiques Paris Sorbonne Cité (CRESS) et responsable de ces travaux.
Pour le moment, les résultats sont préliminaires, mais les chercheurs ont mis en évidence que les caractéristiques sociodémographiques des mères influencent la durée de l’allaitement. Aussi, les mères jeunes de moins de 30 ans, célibataires (en couple ou seule), peu diplômées, ainsi que celles nées en France, allaitent moins longtemps que les autres. Par ailleurs, les mères en surpoids ou obèses et celles ayant continué de fumer durant la grossesse arrêtent plus rapidement de donner le sein.
Les chercheurs soulignent également l’importance de l’origine géographique des parents. En effet, les enfants dont l’un des parents est né à l’étranger sont allaités plus longtemps comparés aux enfants de parents nés en France. « L’allaitement est la norme dans certains pays étrangers, relève Sandra Wagner. Il est donc possible que les mères nées à l’étranger apportent avec elles cet aspect culturel dans l’Hexagone. On peut également supposer que les mères expatriées sont plus sensibles aux recommandations et allaitent plus longtemps que les autres ».
Le père jouerait également un rôle-clé. « Au-delà de sa présence à l’accouchement, son âge est aussi associé positivement à la durée de l’allaitement », note la chercheuse. Associer davantage les pères à cette pratique favoriserait donc l'allaitement.
Accompagner les femmes allaitantes
Ces travaux montrent une nouvelle fois la nécessité d’adapter les informations, d'apporter un soutien psychologique aux jeunes mères ou à celles ayant un faible revenu, afin de promouvoir l’allaitement.
Cependant, il existe d’autres freins à l’allaitement qui pourraient expliquer ces arrêts précoces. « Aujourd’hui, le séjour en maternité ne dure que 2 jours. C’est totalement fou. Une femme doit apprendre son métier de mère, affirme le Dr Marc Bellaïche. Alors que la naissance d’un bébé est un bouleversement émotionnel et que la mère a du mal à reprendre ses esprits, on lui demande au bout de deux jours d'être complètement compétente pour nourrir son enfant. »
Peur de mal faire, douleurs durant la tétée, anxiété… Améliorer l’accompagnement et l’apprentissage des mères dès la grossesse, puis au retour de la maternité, est donc primordial. Pour cela, la visite à domicile des sages-femmes se développe de plus en plus, mais la France reste à la traîne en comparaison de ses voisins du nord de l’Europe où la durée d’allaitement est beaucoup plus longue.
Les multiples bienfaits de l’allaitement
Jusqu’à ses six mois, le bébé peut satisfaire tous ses besoins nutritionnels grâce au lait maternel. Et bien que les laits maternisés soient de plus en plus sophistiqués, le lait des mères reste inimitable. « Il est impossible de fabriquer un lait industriel avec la même composition que le lait maternel, car il varie au cours du temps, explique le Dr Marc Bellaïche, pédiatre nutritionniste à l’hôpital Robert-Debré (Paris). A la naissance, au 4e jour ou au 10e jour de vie, le lait maternel change complètement. Il évolue même au cours d’une tétée : la mère donne le maximum de protéines, minéraux et d’acides gras essentiels au début de la tétée au cas où l’enfant s’essoufflerait. C’est quelque chose de magique ».
Grâce à ses propriétés uniques, le lait maternel permet une croissance normale de l’enfant, diminue le risques d’allergies et d’asthme, et le protège de nombreuses infections. Par ailleurs, « plus l’allaitement est long, plus l’enfant est protégé contre l’obésité et le diabète de type 2 plus tard dans l’enfance. »
Pour la femme, allaiter son enfant présente également de nombreux bénéfices. Cela participe à la création du lien entre la mère et l’enfant, et favorise une meilleure estime de soi. Il est également associé à un risque réduit de cancer du sein et des ovaires ainsi qu’à un risque moindre de pathologies cardiovasculaires et métaboliques comme le diabète de type 2.
Toutefois, cela ne veut pas dire que toutes les mères doivent allaiter. « Si une maman, pour une raison qui lui est propre, ne veut pas ou ne peut pas allaiter, il ne faut surtout pas entrer dans du prosélytisme, affirme le Dr Marc Bellaïche. Car il est clairement démontré que forcer une mère à donner le sein alors qu’elle ne le veut pas ou ne se sent pas capable a plus d’effets délétères que de bienfaits pour elle et l'enfant ».