Les chiffres sont faux, mais les préoccupations réelles. Lors de son discours devant le Sénat, la secrétaire d’Etat à l’Egalité femmes-hommes a abordé la question de l’épisiotomie. Un rapport a été commandé sur la pertinence de cette incision du périnée lors de l'accouchement, qui fait l’objet d’une controverse à la fois sociale et scientifique.
Et les déclarations de Marlène Schiappa n’ont fait que jeter de l’huile sur le feu. Au Palais du Luxembourg, la secrétaire d’Etat a évoqué « un taux d'épisiotomies à 75%, alors que l'OMS préconise d'être autour de 20-25% ». Une estimation qui a provoqué un tollé du côté des gynécologues-obstétriciens et des sociétés savantes qui les représentent.
Mais derrière les statistiques se cache une réalité. Tous les établissements ne sont pas égaux face à l’épisiotomie. Deux se distinguent par un taux particulièrement bas de recours à ce geste chirurgical, les CHU de Poitiers (Vienne) et de Besançon (Doubs). Ce qui soulève une question : les épisiotomies pratiquées dans les hôpitaux sont-elles toujours utiles ?
Au Collège national des gynécologues-obstétriciens français (CNGOF), un groupe de travail tente de répondre à cette question. Le Pr Xavier Fritel, gynécologue-obstétricien au CHU de Poitiers, en fait partie.
Pourquoi l’épisiotomie se pratique-t-elle ?
Pr Xavier Fritel : Lors d’un accouchement normal, des déchirures graves peuvent survenir, à savoir une déchirure du sphincter de l’anus – aussi appelé périnée complet. Cela peut occasionner, plus tard, un risque d’incontinence anale, ou fécale. Ce n’est pas fréquent mais cela peut survenir dans 1 à 5 % des premiers accouchements. L’objectif de l’accoucheur est donc de les éviter.
Comment repérer les femmes qui en auront besoin ?
Pr Xavier Fritel : Les principaux facteurs sont un premier accouchement, un accouchement instrumental – à l’aide de forceps ou d’une ventouse – ou la présence d’un bébé de gros poids. La discussion porte sur les cas qui en auraient besoin. Ce débat n’est pas réglé puisqu’il nous manque les facteurs prédictifs de la déchirure grave, et on les connaît mal. La valeur prédictive des facteurs que l’on connaît reste médiocre.
Autrement dit, on a du mal à identifier avant la fin de l’accouchement quelle femme va présenter une déchirure, et laquelle n’en aura pas. Selon le souhait de prévention de la maternité, ou sa politique obstétricale, il y aura beaucoup d’épisiotomies ou très peu. Je ne saurais, d’un point de vue scientifique et médical, dire qui a raison ou tort.
L’utilité de l’épisiotomie est-elle avérée ?
Pr Xavier Fritel : Il existe une controverse dans la communauté scientifique sur le bénéfice apporté par l’épisiotomie. Le débat autour de l’épisiotomie systématique a eu lieu dans les années 1990. Le consensus actuel, c’est que dans la majorité des cas on n’a pas besoin de faire une épisiotomie. Les taux actuels le reflètent, et ils ont largement baissé depuis les années 1990. Le débat actuel porte sur l’accouchement à risque.
Nous devons faire des progrès dans le domaine de la médecine prédictive, et particulièrement dans prévention des déchirures graves. Les progrès à faire sont réels. Cela peut expliquer que les opinions divergent. A l’heure actuelle, on a du mal à prédire cet accident, et tout le monde n’est pas convaincu par le rôle préventif de l’épisiotomie.
L’avis du groupe de travail pourra-t-il faire évoluer cela ?
Pr Xavier Fritel : Les recommandations peuvent faire évoluer les pratiques. Mais le but principal est de faire un état de la science, de dire quelles sont les preuves existantes. La question qui est posée au groupe de travail est de savoir si on dispose de preuves nous permettant d’établir des recommandations. Je n’ai pas encore la réponse.
Je travaille, pour ma part, dans un établissement qui fait très peu d’épisiotomies. Mais on s’interroge sur les bonnes indications, en particulier lors d’une extraction instrumentale. La question se pose de faire différemment dans ce cas. Des travaux scandinaves ont observé, depuis les années 90, une diminution très importante de leur taux d’épisiotomies mais aussi une augmentation importante du nombre de déchirures graves. Cela soulève la question de la limite.
Le débat peut-il changer les pratiques ?
Pr Xavier Fritel : Je pense que ce n’est pas productif. J’ai vécu cette controverse comme un anathème contre les obstétriciens. C’était accusateur plus qu’autre chose. Les médecins mènent un débat scientifique au sein des sociétés savantes. Le travail est parti des professionnels, et était programmé avant que la secrétaire d’Etat ne s’exprime. On a aussi un débat avec les patientes, puisque le sujet est abordé avec les femmes enceintes. Elles peuvent demander de ne pas avoir d’épisiotomie, on leur expliquera pourquoi on peut être amené à en réaliser une. Généralement, on est compris sur notre démarche de prévention.