Dr JFL
Le gros est-il condamné à vivre avec le sentiment que tout le monde se moque de lui ?
Pr PML
Cela dépend des gros.?Il y a d’abord les obésités morbides, maladives ; Les gens qui en souffrent, ont un sentiment d’exclusion permanent : au-delà de la moquerie, il sentent que la société n’est « pas faite pour eux ». Ils sont toujours en difficulté ; On est là, véritablement, dans des logiques de handicap.?Face à une obésité simple ou un surpoids, on se rend compte qu’il y a un lien avec la manière dont la personne vit son obésité et sa personnalité. Concrètement : il y a toujours l’image du bon gros, celui qui est amusant ; et puis celle du « gros con », (pour être exhaustif il y a aussi le mais également le « petit con » !). Mais le bon gros, qui assume, que tout le monde connaît autour de soi, est quelqu’un qui est bien en chair, pas forcément avec un surpoids ou une obésité, mais qui est celui qui amuse tout le monde, qui semble apparemment parfaitement bien dans son corps, qui assume, et qui n’a pas du tout ce vécu de moqueries.?Il y a aussi le surpoids véritable « armure », de gens qui se protègent. Dans ce cas, quand on se protège, c’est qu’on a quelque chose à protéger... Et forcément, on se sent la cible du regard des autres.
Dr JFL
Le gros se sent-il obligé d’être drôle pour décomplexer ?
Pr PML
Je pense qu’il s’agit d’une des attitudes, une des représentations sociales du gros. C’est-à-dire le gros, le visage poupin, infantile, rond, sympathique, amusant, avec lequel on a envie de partager un moment de plaisir. C’est véritablement quelque chose qui constitue, à mon avis, un des risques d’entretien de l’obésité. Parce qu’en fait, dans ce cas-là, on peut se plaire à faire rire, à être drôle et se plaire à assumer cette identité-là.
Dr JFL
Est-ce que maigrir peut rendre triste ?
Pr PML
Oui, si maigrir faire perdre son identité. Dans ce cas, quand on perd son identité, la représentation identitaire que l’on avait soi-même et vis-à-vis des autres, c’est-à-dire comment ils nous voient, comment on imagine qu’ils nous voient, peut induire une certaine tristesse, qui va s’installer, parce qu’on a perdu quelque chose.
Dr JFL
Comment se persuader que c’est d’abord pour soi que l’on maigrit ?
Pr PML
Un gros peut percevoir que c’est pour lui qu’il doit maigrir, quand il monte des escaliers, s’il est obligé de s’arrêter trois fois. C’est aussi quand il n’arrive pas à se baisser pour faire ses lacets facilement. Il ne s’agit pas de stigmatiser ces moments-là, mais on voit bien que c’est dans la perception intime, immédiate, des conséquences de l’obésité, qu’il faut travailler. Sinon, le reste du temps, quand c’est une fois de plus une fonction d’identité qui est assumée, cela devient une situation où l’on se dit : « Maigrir, mais pourquoi faire ? ».
Dr JFL
Le moment-clef de la perte de poids est très différent d’une personne à une autre. Pourquoi un jour cela marche-t-il ? Que peut faire le psy pour aider à gagner la décision ?
Pr PML
Sincèrement, le psy peut aider à la perception du caractère de l’ici et du maintenant. Sortir du discours, qui est trop conceptuel, de l’intérêt que cela représentera à un moment ou à un autre. On n’arrête pas de fumer parce qu’on pense que cela nous permettra de ne pas avoir le cancer dans 20 ans. On n’arrête de fumer parce qu’on ressent les bénéfices du goût, de l’odeur, etc. On ne décide pas de maigrir parce qu’on se dit : « Peut-être que je n’aurai pas un infarctus dans 5 ans ». On décide de maigrir, parce qu’à un moment donné, on va ressentir à la fois les contraintes et les bénéfices éventuels. Je crois qu’il est fondamental de vraiment se centrer sur le caractère immédiat.
Dr JFL
A contrario, l’image du gros est parfois jugée rassurante ?
Pr PML
Oui, mais cela a changé en 2 générations. Jusqu’au 3e quart du 20e siècle, le gros, était le symbole de la jovialité, du succès, des qualités, etc. En fait, on a basculé, il y a probablement une quarantaine d’années, dans une représentation du gros : on est passé du gros à l’obèse, et à mon avis, ce changement social est relativement récent.