Des larmes chargées en hormones de stress
« Personne n’exclut que pleurer puisse faire du bien dans certaines situations, reconnaît Florian Cova, professeur de philosophie et de psychologie au Centre en sciences affectives de l’université de Genève (Suisse). Lorsqu’on est déjà triste et au bord des larmes, le fait de se laisser aller en pleurant crée un soulagement immédiat : ce n’est pas tant que pleurer fait du bien, c’est se retenir qui fait du mal ! Le contrôle de nos émotions demande en effet énormément d’efforts. Sans compter que pleurer fait passer l’envie de pleurer, ce qui peut être assimilé à un meilleur état mental. » De là à considérer que l’acte même de pleurer – quitte à se forcer alors qu’on n’en a pas envie sur le moment, comme le propose M. Yoshida – aurait des bénéfices psychologiques sur le long terme, c’est une autre paire de manches...D’où vient cette idée que pleurer soulage du stress ? « La culture occidentale est très influencée par l’analyse freudienne, qui a pour modèle la cocotte-minute : les émotions sont des énergies qui s’accumulent et qu’il faut libérer de temps à autre pour éviter l’explosion », explique Florian Cova, évoquant l’idée « très populaire » de « catharsis ». C’est en partant de cette hypothèse que le biochimiste américain William Frey a prouvé dans les années 1980 que toutes les larmes ne se valent pas : en plus des larmes de lubrification qui lissent la cornée, il distingue les larmes réflexes, qui coulent lorsqu’on a une poussière dans l’œil ou lorsqu’on coupe un oignon par exemple, et les larmes émotionnelles, causées par la tristesse ou la joie (et que seuls les humains sont capables de verser). En analysant leur composition chimique, le scientifique montre que les larmes émotionnelles contiennent un certain nombre d’hormones liées au stress, comme le cortisol, l’adrénaline ou la prolactine. C’est, d’après son interprétation, la preuve que les pleurs détoxifient mécaniquement l’organisme en évacuant lesdites hormones et par conséquent le mal qui nous ronge. Une autre étude américaine de 1986 va même jusqu’à affirmer que l’acte de pleurer peut être associé à une diminution de la dépression.
Sauf que ce n’est pas si simple, prévient Florian Cova : « Dans les moments de tristesse, la sueur et la salive contiennent également ces hormones de stress ! Cela prouve seulement qu’on est anxieux lorsqu’on pleure – ce qui est parfaitement logique. De plus, la concentration en hormones du stress dans les larmes est telle qu’elle n’est jamais suffisante pour rétablir l’équilibre de l’organisme. » D’après le spécialiste des émotions, dire que la fonction des pleurs est d’évacuer les toxines pour revenir à un état de bien-être est un « raccourci » : « Il n'y a aucune preuve scientifique qui va dans ce sens-là. » Ce pourrait même être l’inverse, selon certaines études citées par l’enseignant en psychologie : « Lorsque les scientifiques font regarder un film dramatique à des volontaires ou les soumettent à des souvenirs de vie tristes, puis évaluent leurs réactions physiques, ils observent que ceux qui ont pleuré ressentent, au bout du compte, des émotions négatives encore plus fortes que ceux qui n’ont pas versé de larmes. » Si cela peut éventuellement soulager sur le moment, le fait de pleurer pourrait donc rendre les gens encore plus malheureux qu’avant...
Le réconfort après les pleurs
Il faut attendre les années 2000 pour que la recherche scientifique sur les supposés bienfaits des pleurs prenne un nouvel élan. Plutôt que chercher à savoir si les sanglots font du bien en soi, le psychologue néerlandais Ad Vingerhoets, auteur de Why only human weep (Pourquoi seuls les humains pleurent), a en effet tenté de déterminer dans quelles circonstances elles peuvent faire du bien. En récoltant les données de pleurs de quelque 5.000 personnes sur 35 pays (durée, raisons, lieu, présence ou non de personnes aux alentours, réactions d’autrui...), le chercheur aboutit à deux conclusions.D’une part, selon Florian Cova, « les larmes ne sont suivies d’une amélioration de l’humeur que lorsque la situation qui fait pleurer dépend de nous, par exemple après une dispute avec son conjoint. Mais si on fond en larmes dans un contexte qui échappe à notre contrôle et qui ne peut être résolu, comme un décès, alors les pleurs n’auront aucun effet positif. » D’autre part, « les larmes ne soulagent pas en elles-mêmes, mais elles ont des bénéfices indirects car elles contribuent à débloquer des situations, à trouver des solutions extérieures qui vont nous réconforter sur le moment ». Autrement dit, ce ne sont pas les pleurs qui font du bien, mais leurs conséquences sociales, comme le soutien émotionnel qu’on peut recevoir d’un proche qui nous verrait fondre en larmes lors d’un enterrement. A l’image du bébé qui geint pour appeler sa mère, nous pleurons surtout pour montrer que nous allons mal... avec l’objectif que les autres nous aident à aller mieux !